Envie d’écrire ce soir un papier insignifiant, dont tout le monde se débarrassera rapidement dans un haussement d’épaules exaspéré. Si j’avais le moyen de définir mes préférences littéraires, ce que je suis bien en peine de faire vu mon bagage ridicule et mouvant, je commencerais peut-être par la négative : il existe des auteurs que je n’aime pas. Parmi ces derniers se trouvent des artistes appréciés, comme Kundera. Je remarque qu’il s’agit souvent d’auteurs qui tentent d’entrer dans le roman psychologique, de dire quelque chose de profond au sujet des relations humaines, sans pour autant, à mon sens, y parvenir.
En tête de ces auteurs, je placerais Françoise Sagan. Revenue à la mode ces dernières années, souvent mise en avant dans les pages « culture » du Figaro et autres journaux, elle m’a pourtant intéressée. Mais il n’y a rien à faire. Ça m’agace, ça m’ennuie, ça me donne de l’eczéma, ça me rend morose et méchante.
Sagan, j’en avais souvent entendu parler, mais je ne l’ai lue que tardivement. Étrangement, en parcourant des articles de blogs plutôt élogieux, j’ai cru qu’il y avait là une artiste à découvrir. Plusieurs personnes m’en avaient dit du bien ; je la savais très appréciée parmi les étudiants, donc je me suis lancée dans la lecture de ses œuvres. J’ai essayé d’avaler plusieurs de ses romans à la suite, comme je l’avais fait pour Duras ou pour Modiano. Pour l’anecdote, j’avais fini, en procédant ainsi, par tomber amoureuse de Duras ; j’avais aussi découvert au fond de l’œuvre de Modiano, un auteur que je jugeais morne et ennuyeux, des lumières angoissantes et oubliées, comme Des Inconnues. Glanant les Sagan en boîte à livres, j’ai lu successivement Aimez-vous Brahms, La Chamade, Un certain sourire, La Laisse, Bonjour tristesse et La Femme fardée, que je n’ai pas réussi à finir.
Exceptés La Femme fardée et Bonjour tristesse, qui incarnent à mon sens une littérature qu’attendait un lectorat très « Paris Match » et dont les histoires s’ancrent dans un environnement correspondant à l’imaginaire de ce lectorat (la croisière / les vacances sur la Riviera), ces romans emploient plus ou moins le même schéma narratif et mettent en scène des romances éphémères et « passionnées » entre des femmes souvent indépendantes et des hommes jeunes et/ou paumés. L’amour est donc au centre de ces œuvres, y compris dans La Femme fardée, où se déploie l’adultère de Clarisse, femme fragile, forcément mystérieuse et envoûtante. À chaque fois, l’autrice déploie ce sentiment, l’exploite, le remotive, et soi-disant le dissèque, mais je trouve qu’il n’en sort rien d’intéressant. Ses phrases sur l’amour sont creuses ; tout reste en surface et présente ce sentiment comme un jeu de manipulation, sans nous donner accès à la psychologie des personnages. On reste sur notre faim, on a l’impression de visionner un mauvais téléfilm :
« Elle s’étonnait de ne pas être plus contente de revoir Antoine dans quelques heures. Au contraire, elle en était vaguement contrariée. Ils avaient atteint une sorte de paroxysme dans l’émotion cet après-midi et il lui semblait qu’en admettant que cette expression puisse s’appliquer aux sentiments, la coupe était pleine. Elle eût préféré dîner paisiblement avec Charles [nldr : l’amant cocu]. Elle ouvrit la bouche pour le lui dire mais s’arrêta : cela lui ferait trop plaisir et ce serait un plaisir mensonger. » (La Chamade).
Ces petits romans inoffensifs véhiculent à mon sens une image pauvre des relations humaines, romancent certains comportements vicieux sans pour autant compenser ce travers par la beauté de la prose ou la profondeur de la réflexion. Rien ne questionne le fonctionnement amoureux des personnages principaux, rien ne nous donne accès à leur psychologie, car leur manière d’aimer se fonde comme d’un bloc sur le principe du jeu social. On ne peut s’adonner à aucune chirurgie, on ne peut rien passer au scalpel. En revanche, on est tenté de vouloir ressembler à ces héroïnes belles, désabusées et manipulatrices, à ces jeunes hommes passionnés et pervers, à ces bourgeois oisifs occupés uniquement de leur société. Ce sont de bons masques à endosser pour avoir l’air pénétrant.
Je trouve aussi que ses personnages collent trop aux clichés bourgeois et que la satire déployée n’est pas là pour les dynamiter. J’ai conscience que ça doit plaire à un certain lectorat, mais personnellement, ça me gêne. Cette satire a marqué la critique à la sortie de Bonjour tristesse et a fait le succès de Sagan, mais il suffit de regarder de plus près pour voir qu’elle est très superficielle. Les personnages sont tiraillés entre leurs devoirs et leur vie affective ; certains, riches et oisifs, ne s’occupent que de leurs relations mondaines et d’amour, tiennent aux apparences, ont le goût du luxe et du mensonge, sont critiquables, mais faits pour nous attirer. Ils sont raillés, mais ils sont aussi charmants, beaux, drôles et cultivent l’art du bon mot. L’autrice n’est pas si cruelle que ça avec eux. Dans La Femme fardée, le narrateur se rit des manières des riches en croisière, mais certains personnages deviennent attachants, comme le capitaine Ellédocq, « ce vieux loup de mer » que tout le monde aime, ou la Doriacci, sorte de diva sur le retour. La charge est grossière, trop évidente et peu profonde : le navire s’appelle le Narcissus, tout le monde à bord est donc un peu autocentré, ou un peu narcissique, mais sous les apparences se cachent des douleurs. La satire malmène ces personnages bourgeois sans remettre en question le fondement de leurs attitudes bourgeoises, ni ce qui les rend pathétiques ou exécrables. Elle souligne le ridicule des personnages en évitant la critique frontale des crispations bourgeoises (l’argent, le devoir, le mariage arrangé), validant l’existence de ces façons d’être en société.
Je ne sais pas ce qui me rebute tant, finalement. Peut-être est-ce l’image de la femme bourge, belle mais un peu creuse, déclinée en chacun des personnages féminins, tous interchangeables et navrants. Peut-être aussi est-ce la réduction de l’amour à l’équation sentiments / conventions. Ou alors, le style insipide et la prétention qui se cache sous la sprezzatura de l’autrice, la manière « bâclée » qu’elle évoquait dans son épitaphe. Je crois que je déteste par-dessus-tout l’usage de certaines références culturelles, comme Brahms ou Aristophane, comme s’il s’agissait de bons vins ; cette manie qu’ont les gens de droite de convoquer les artistes sans les différencier du patrimoine culinaire.
Je finirai en disant que l’influence de cette autrice sur la littérature contemporaine est à la fois perverse et plus grande qu’on ne le croit. Cette idée m’est venue en feuilletant quelques livres en librairie. On retrouve la même utilisation des références culturelles et artistiques chez Amélie Nothomb ou David Foenkinos : ça parle d’art, de philosophie, de musique, ça « analyse » Modigliani et cite Wittgenstein, mais en surface, comme pour attirer un lectorat, non pas bourgeois cette fois, mais du moins vaguement lettré.
Je me rappelle des intrigues de Deux sœurs, de Vers la beauté et d’autres romans de Foenkinos. Des histoires à la fois ridicules et tragiques, banales et violentes, teintées d’humour. Des personnages lambdas, normaux, attirés par l’art, presque nos pairs, construits pour emporter l’adhésion, mais dépourvus de profondeur. Ces personnages se déchirent par amour ; leurs histoires confinent au fait divers, et rien n’est sauvé de l’art évoqué, qui sert de toile de fond.
Appréciant beaucoup d’auteurs de la littérature populaire, je m’interroge sur le parti pris de ces romans pseudo-intellectuels. Pourquoi attirent-ils autant ? Ressemblons-nous à leurs personnages ?
Mon bagage littéraire est encore plus léger que le vôtre. Je m’ennuie vite. Lycéenne, j’ai réussi à ne lire aucun classique (je trouvais ça ennuyeux à mourir dès le premier chapitre). Je soupire devant les ouvrages de plus de 300 pages. Jeune adulte, j’adorais les romans de gare : San Antonio, SAS, L’implacable (j’assume). J’aime Amelie Nothomb qui a le bon goût d’aller à l’essentiel. Rouennaise, j’ai tenté Flaubert et ses lettres à Louise Collet et j’ai abandonné en lâchant un « mais arrête de pleurnicher et plaque moi cette conne ! ». J’ai lu King Kong Theorie de Despentes récemment : j’avoue ne pas savoir quoi en penser. Commentaire un peu long. Je devrais peut être en faire un billet de blog 🙄
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Écrivez sur San Antonio, c’est tellement génial ! Concernant Despentes, j’ai une affection particulière pour Vernon Subutex, j’aime moins King Kong Theorie.
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Ça fait plus de 30 ans que je n’ai pas lu un San Antonio ! J’avais dans un coin de ma tête Vernin Subutex. Je tenterai 😉
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Je partage entièrement vos réserves à l’égard de Kundera. L’enthousiasme que son œuvre suscite auprès de tout un chacun me laisse pantois. J’ai aimé L’insoutenable légèreté, à cause de l’ambiguïté qui y règne d’un bout à l’autre. Mais que le reste est solennel et pompeux ! Dieu vous parle. Je ne supporte pas le fait que son narrateur soit toujours plus malin que tout le monde, que tous les autres personnages et que le lecteur, comme dans La plaisanterie ou La vie est ailleurs. On se sent isolé quand on n’aime pas Kundera. Aussi quel plaisir j’ai eu quand j’ai lu sous la plume de Kertész quelque part dans son journal : Qui a dit que Kundera était un grand écrivain ? En fait, le Hongrois a tenu sur le Tchèque des choses encore bien plus durs, que je n’ose pas citer.
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Je me sens moins seule 🙂
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Je suis d’accord avec vos réserves, mais tout cela est trop sérieux. Ne faudrait-il pas prendre Sagan, comme le suggère Charles Dantzig à la fin de sa notice dans son Dictionnaire égoïste, comme un auteur comique ? Une autrice qui fait des livres camp et qui se lit pendant les grandes vacances. Je pense à La garde du cœur (1968), et ses dialogues comme « Dorothy, êtes-vous complètement folle ? » ou les pensées de la narratrice : « Je finirais alcoolique si je ne l’étais déjà ».
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Oui, c’est certain, c’est d’ailleurs ce qui a fait son succès. Mais ça m’ennuie plus que ça ne me fait rire, j’ai vraiment eu du mal à terminer les romans cités. Pour moi, le comique ne sauve pas l’œuvre de cette autrice.
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Moi, c,’est Elena Ferrante pour des raisons semblables
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J’ai apprécié cet article et les punchlines (comme on dit) pour Paris Match et le Figaro.
J’avoue que je n’ai pas pu réprimer un sourire sur ce dernier, et un fou rire intérieur après, en me disant que le dit journal n’est pas non plus une référence (très) culturelle…
J’ai aimé aussi les commentaires de chacun et chacune ensuite, cela fait du bien qu’on secoue les carcans (ou carcasses) dites « intellos » ou « culturelles » qu’on érige (parfois un peu trop) en totem, en référence…
Continuez vos articles, ils font réfléchir, et c’est bien ^^
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Contente de vous avoir fait rire. Effectivement, les pages « culture » du Figaro n’ont rien de culturelles, mais l’algorithme moisi de Facebook où je ne poste plus rien me les suggère. Aussi, en plus de me farcir tout Sagan, je vois sa tête partout x)
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Pareil !
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j’ai lu Bonjour Tristesse il y a quelques semaines. Je n’ai pas réussi à finir. La plume est certes agréable mais le propos est creux. Rien. Néant. Moi qui pensais rattraper une lacune littéraire je suis restée bête. Pourquoi Sagan a-t-elle percé ? Sûrement parce qu’à l’époque elle a juste osé écrire, elle une jeune femme. Et qu’elle avait les moyens. C’est tout. Aucun intérêt aujourd’hui, sauf peut-être pour une sociologie des auteurs, ou des critiques. Votre billet de blog y suffit.
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