Cartographie de l’île en son ouest (Breton dirait : « la carte de l’île »)
Falasorma, Galeria, A Funtanaccia, A Riciniccia, Isulotti di a Mursetta, U Rusignolu, Calca, Ambiu, Tavulaghju, A Punta di Stollu, Focolara, Elpa Nera, A Punta di a literrniccia, A Punta Nera, U Lucciu, Palmarella, Piana, U Capu Tondu, Nuvalezza, Leva, Bocca Bassa, Argentella, Mansu, U Fangu, Cinque Arcate, U Ponte Vecchju, Tuarelli, Manso, Barghjana, U Marsulinu, Cherchisani, Prezzuna, Canne, Tetti, Calancone, Montestremu, Tassi, Caprunale, U Niolu, Albertacce, Capu Tafunatu.

© Paule-Andrée Capia.
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Il n’y a que les noms corses qui soient à la fois si laids à lire et si beaux à écouter.
Essayant de retrouver par transcription phonétique des noms de lieux sur Maps et sur les cartes IGN, j’échoue. Mon rapport à la langue familiale est seulement oral.
Les cartes de l’île sont-elles incomplètes, ou l’île se dérobe-t-elle pour ne pas qu’on la sonde ?
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Le ciel s’écoule dans ce fleuve, au milieu de la vallée. Nous échangeons des mots aléatoires mais pleins, des mots qui n’ont de sens que pour nous, tandis que l’eau coule, fluide, douce, s’enroule sur la peau, nous lie comme les gémeaux de Cărtărescu. Aucun nuage ne perle au-dessus des cimes du Falasorma et en fermant les yeux, on retrouve le règne du minéral, mille routes s’ouvrent sous le fleuve s’écoulant sur l’écaille des poissons presque disparus de ses eaux, on entre dans l’au-delà de la chair, là où les odeurs irréelles du lentisque agissent pour notre confusion. D’un regard oblique jeté au Tafunatu, dressé sur les hauteurs de Montestrem’, tu avises le trou du Diable, tu te souviens de la légende, tu sais qu’ici la terre porte son paganisme et que la chrétienté est une façade qui se craquèle à chaque instant, dans chaque village, sous chaque église, tu regardes de nouveau la montagne et te demandes comment pareille roche peut tenir encore en place, comment une montagne peut être « trouée », car c’est ce que veut dire son nom, pourquoi ce foutu sommet ne s’effondre pas, comment ça peut tenir avec les orages qui claquent là-haut tous les deux jours, tu sais, quand de l’embouchure du fleuve tu la vois au loin, au bout de la route tracée de Galeria à Barghjana, quand plus proche de Galeria que de Barghjana tu crois entendre le vent siffler dans le trou, véridique, tout le monde l’entend de cette route, et tu te dis qu’un jour il faudra que tu y ailles, aujourd’hui ici au XXIe siècle tout le monde se dit ça, « un jour j’irai au Tafunatu », 2335m, ça fait bien GR20, c’est ce que t’avait dit cette amie russe qui traçait sous tes conseils de petites croix sur sa carte, « il faudra contourner l’endroit où des personnes sont mortes, sur les hauteurs de Manso », mais tu te fous de l’alpinisme, tu aimerais juste comprendre la légende, t’imprégner de la force qui a créé ce trou, celle de démons plus proche de ceux Blake que de ceux de Dante, tu voudrais atteindre le Tafunatu – le troué, car c’est ce que veut dire son nom, tu sais qu’il y a un chemin qui relie la source de Tassi au col de Vergio en passant par ce sommet, d’ailleurs tu le respectes, car il domine la vallée comme une sorte de dieu créé par un architecte primitif, tu l’observes encore sous le soleil de plomb et croises en pensée le regard ironique de ta tante Santa, celle qui, à douze ans, faisait la transhumance d’Albertacce à Galeria, à dos d’âne et pieds nus, toute vêtue de noir – image d’Épinal, celle qui se moquerait doucement des touristes équipés en Norrøna et te dirait : – boh, tu sais j’y suis allée souvent, c’est juste un trou.

William Blake, The Ancient of Days, 1794.
Et connaissez-vous cet endroit : Ragamu (un autre nom, beau et tragique) ?
https://gaspardnocturne.blogspot.com/2024/06/ragamu.html
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Non, mais l’extrait est très beau. J’aime beaucoup le nom. Merci pour le partage !
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