Été morcelé : raconter ses vacances

Raconter ses vacances est le meilleur moyen de sombrer dans les clichés les plus éculés. Critiquer les touristes, alors qu’on est soi-même un touriste ; on peut retourner la chose en se critiquant soi-même, mais cela risque de tourner à l’auto-flagellation, exercice lui aussi éculé. Énumérer les choses vues : clochards, Colisée, vendeurs à la sauvette, Saint-Pierre-de-Rome, le serveur qui propose un plan à trois à deux jeunes femmes après dix minutes de discussion, le parc de la Villa Doria Pamphili, les automobilistes cinglés, la Galerie Borghèse… Là, on n’a donné aucune forme littéraire, si ce n’est pas l’antithèse facile entre les lieux touristiques et la vie moins monumentale. Faire des phrases : « Le Vatican est le seul endroit au monde où il me prend l’envie de devenir protestant. » « Victimes du surtourisme, les Romains nous font comprendre qu’ils ne veulent pas de nous en étant encore plus odieux que les Parisiens, ce qui est un exploit. » Proposer une rêverie romantique : « Parmi les grands murs des thermes de Caracalla, j’erre ruine parmi les ruines, touriste de l’effondrement perpétuel… » Y adjoindre un passage devant la tombe de Keats et de Shelley, puis devant celle de Gramsci qui se trouve non loin, pour rappeler subtilement que malgré des vacances un peu clichées, on est de gauche. Ou alors éviter le sujet : expliquer aux gens qu’on vient de lire Nazarin de Benito Pérez Galdós, que c’est un chef-d’œuvre, que le relatif oubli de ce grand auteur espagnol est un scandale. Enchaîner sur la lecture suivante : Le Pavillon d’or de Yukio Mishima. Ou continuer l’interminable litanie sur le fait qu’on ne parvient pas à écrire, en remplir des pages et des pages, se dire qu’on a écrit un peu, en fait. Décrire tout à fait en détails une oeuvre non mise en valeur de la Galerie Borghèse, comme les Paysages fantastiques de Paul Bril. Éviter de parler du Caravage ou du Bernin, trop courant, déjà fait. Voire y aller franco et mettre un message risqué sur le fait qu’on est resté de marbre devant les tableaux de Caravage. Mais le Bernin, tout de même, quelle merveille. Louise Bourgeois : très belles installations (les « cages »), sculptures peu intéressantes. Une phrase, là aussi peut-être pour faire son intéressant : « Peu de gens le savent, mais le parc de la Villa Doria Pamphili est le meilleur endroit de Rome. » Enchaîner sur le groupe de rock progressif italien du même nom, que personne ne connait (comme tout le rock progressif italien) et c’est bien dommage. Se plaindre de la médiocrité des touristes français, alors qu’on est soi-même touriste français, donc peut-être aussi insupportable. Se jurer qu’on ne partira plus en vacances. Songer qu’on devrait quand même aller un jour à la Galerie des Offices de Florence. Se dire qu’on reviendra à Rome qui sera peut-être plus agréable quand les travaux de la ligne C du métro seront terminés. Prendre des photos, des clichés. Se rendre compte qu’on cadre très mal, que nos photos ne rendent rien de beau, aucune atmosphère. Ne pas prendre de photo. Ne pas parler de Rome. Ne pas raconter ses vacances.

Rome vue depuis le Janicule.

6 réflexions sur “Été morcelé : raconter ses vacances

  1. Vrai. Pas simple d’écrire sur Rome, où j’ai passé une semaine en solo en juin. Surtourisme partout. J’ai préféré le Testaccio ( l’immeuble où à été tourné C’était ancora domani » + le marché), la Garbatella, la centrale Montemartini, marcher le soir, le repos après le fuite enÉgypte du Caravage dans la gallerie Doria-Pamphilij, une photo de PP Pasolini, un Gazomètre.. 5 textes sur le blog écrits … après.

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  2. Bonjour 🙂

    Rome donne peut-être ses formes comme on ne l’attendrait … jamais.
    Ceci est une séquence véridique, et ça ne pouvait se dérouler que … à Rome !!

    Un individu âgé de 38 ans, voleur, se dirige vers un pavillon du quartier PRATI (situé tout à côté du Vatican), s’introduit dans un appartement. Source :
    https://www.agi.it/cronaca/news/2024-08-21/ladro-arrestato-mentre-legge-libro-27553497/

    Inspectant les lieux, il découvre dans la chambre à coucher et sur la table de chevet du propriétaire absenté, un livre de Giovanni Nucci, qui le fascine, finit par le happer .
    «Gli dei alle sei. L’Iliade all’ora dell’aperitivo » ( Voir LÀ* ) a raison de la totale attention de l’intrus, qui s’installe alors durablement sur le lit, assis, captivé par l’ouvrage …

    Le malfaiteur, sera sans difficultés, cueilli par la police…

    … Rome … étonnante cité !

    *: https://www.mariocerrone.com/progetti.html

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