Trivialité (5) : Je me souviens

Une amorce classique, pour la séquence de 3e consacrée à l’autobiographie, est la lecture d’un extrait des « Je me souviens » de George Perec, après quoi on fait rédiger aux élèves un texte sur le même modèle. Comme élève, je me souviens d’un TB souligné à côté du texte que j’avais rendu, ce qui était plutôt rare pour moi en rédaction, car vous aurez compris que je n’ai pas eu de don d’écriture. Comme professeur, je m’impose de réaliser les exercices de rédaction que je propose à mes élèves. Voici donc le résultat.

Je me souviens de ma photo sur le porte-manteau à l’école.
Je me souviens des deux tours en flamme.
Je me souviens de ma première écoute des Nocturnes de Chopin.
Je me souviens du camarade qui mangeait du papier en classe.
Je me souviens du silence de mes parents le soir du 21 avril 2002.
Je me souviens avoir rêvé d’une discussion avec Mahmoud Darwich.
Je me souviens de « Beyrouth est notre dernière tente / Beyrouth est notre ultime étoile ».
Je me souviens m’être endormi à la mi-temps en 1998.
Je me souviens du poids des raquettes de tennis.
Je me souviens des larmes de mon père lors de la destruction des Bouddhas de Bâmiyân.
Je me souviens des traversées de la rue Pajol pour aller chez Julien.
Je me souviens de la station Louis Blanc.
Je me souviens du 7 octobre 2023.
Je me souviens avoir lu « Roman » d’Arthur Rimbaud à Annecy.
Je me souviens quand ma mère me disait « plus tard, quand tu auras une amoureuse ou un amoureux ».
Je me souviens du moment où j’ai constaté que je n’aimais pas la physique-chimie.
Je me souviens des chats de ma grand-mère.
Je me souviens quand le prêtre a dit « le mariage ce n’est pas un CDI mais un CDD, c’est durée déterminée jusqu’à la mort » à mon mariage.
Je me souviens être tombé à un pogo lors d’un concert de Rammstein.
Je me souviens de la première fois où j’ai apprécié un tableau.
Je me souviens avoir fait la page Wikipédia de Robert Delaunay.
Je me souviens de « Georges est doux, Georges est frais, mais Georges n’est vraiment pas pratique. Et puis j’ai découvert Tic-Tac… »
Je me souviens quand Nicolas Sarkozy a dit qu’il passerait les quartiers au Karcher.
Je me souviens du tennis de table le dimanche au bord du canal de l’Ourcq.
Je me souviens du poney en classe de nature.
Je me souviens qu’une surveillante m’a demandé où je me croyais et que j’ai répondu « à la foire du trône ».
Je me souviens du moment où l’on a cru que Bachar tomberait.
Je me souviens de la charge de CRS près de la mairie de Chambéry.
Je me souviens avoir tenu presque tout seul le journal du lycée.
Je me souviens du goût atroce du Get 27.
Je me souviens m’être dit pour la dixième fois que j’allais arrêter d’écrire.
Je me souviens d’un enterrement où j’étais seul en costume.
Je me souviens des naissances de mes filles.
Je me souviens d’une dispute avec un ami à propos d’un film de Visconti.
Je me souviens quand ma mère s’est écriée « Pourquoi faut-il que tous les jeunes aiment Nietzsche, Wagner et Visconti ? »
Je me souviens avoir été nul en basket, en tennis, en karaté, en natation et dans presque tous les sports que j’ai essayés.
Je me souviens avoir reçu Pokémon Jaune et la GameBoy Color à un Noël.
Je me souviens de mon premier téléphone cassé.
Je me souviens de la couleur verte de la Seine.
Je me souviens qu’on écoutait Rohff en allant à La Courneuve.
Je me souviens du premier refus d’éditeur.
Je me souviens de François Hollande sur son scooter.
Je me souviens qu’on lisait Édouard Limonov dans le hall du lycée Pravaz.
Je me souviens de « police, milice du capital ».
Je me souviens de l’ennui quand Michael Schumacher gagnait toutes les courses.
Je me souviens de cette amie juive qui m’a dit qu’elle ne donnait plus son vrai nom pour les livraisons parce qu’elle avait peur.
Je ne me souviens pas du nombre de manifs que j’ai faites.
Je ne me souviens pas de ceux qui sont morts avant ma naissance.
Je ne me souviens pas de toutes les blagues.
Je ne me souviens pas de tous les poèmes.
Je ne me souviens pas de tout ce dont je me souviens.

Une réflexion sur “Trivialité (5) : Je me souviens

Laisser un commentaire