Brèves : poésie sans je, notes sur le Grand Colombier

La poésie où le « je » est absent est la plus personnelle.

Truisme ou paradoxe, chacun jugera, selon son époque de référence.

Aujourd’hui on revient (encore) aux vieilles lunes.

Le retour, par exemple, du terme « authentique » dans le rap français est un signe.

Cela amuserait (non) Theodor W. Adorno.

Le rap est-il d’essence heideggerienne ? Il est peut-être le dernier résidu de Heidegger dans ce Zeigeist qui a évacué le penseur allemand.

Le rap français et la poésie contemporaine française ont, parmi d’autres lignes communes, le goût pour les anacoluthes et les brachylogies, parfois au risque du galimatias.

On devrait mener une étude comparative des textes de Booba et de Christian Prigent selon cet angle.

Les poètes y ajoutent néanmoins un goût pour le cataglottisme. C’est leur préciosité, le signe que, s’ils maîtrisent aussi bien les codes du rap, ils ont aussi un « truc en plus », à savoir la langue savante.

Un excellent passage de Pierre Bourdieu, dans Langage et pouvoir symbolique, traite de cela : les classes dominantes les plus avancées aiment à montrer non seulement qu’elles ont acquis le langage savant, mais aussi la langue populaire. Montrer qu’elles utilisent aussi la langue populaire, alors qu’elles naviguent aussi bien la langue savante, est le moyen de montrer leur domination complète du langage, tout en s’affirmant aussi comme « ouvert d’esprit ». Bourdieu, moraliste, y voit la forme de domination la plus retorse, la plus sale. Ainsi Mme de Guermantes. Ce n’est pas une critique de mes contemporains ; nous faisons tous cela sans nous en rendre compte, l’auteur de ces lignes également, à un nombre infini de reprises. La plupart des lecteurs de Bourdieu le lisent d’ailleurs pour le plaisir de se faire mal à leur domination. On le lit comme Cioran ou Pascal ou Houellebecq. (Auteurs certes de valeurs différentes ; précisons-le pour prévenir les éventuelles réactions outrées.)

« Frérot j’ai plus vingt ans (…) / Enfoiré d’requin j’vais t’mettre dans un bocal en fer. »

Tout cela en écoutant le septième quatuor à cordes de Beethoven, dans l’interprétation du quatuor Alban Berg.

Notes sur le Grand Colombier

Montagne au bout du Jura.

Dire les arbres, dire les roches, dire les perspectives, dire l’activité humaine.

Creuser au cœur de la pierre, non pas seulement à la surface du sentiment.

Le romantisme est toujours à l’œuvre aujourd’hui : on parle de nos « ressentis », le contenu extérieur ne semble même pas exister.

Les grandes tentatives de la poésie du XXe siècle et d’aujourd’hui sont des tentatives de sortie de soi.

Dans cet élan, l’avantage du Grand Colombier, c’est qu’il est à la fois écrasant et accessible.

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