Journée

Muséale journée, comme nous aimons en faire parfois, quand nos filles sont gardées. Hier, nous étions montés sur le Grand Colombier, balade sympathique, bien qu’un peu monotone pour tout dire, du moins dans la partie en lacets forestiers, jusqu’aux alpages où le monde semblait s’ouvrir. Un café à l’auberge portant le nom de la montagne, puis redescente. Six heures de randonnée, une brume qui se disperse, belle visibilité sur le Mont Blanc, tandis que le lac du Bourget restait sous quelques brouillards épars. Plusieurs vues du Rhône, qui serpente et semble côtoyer le lac sans le regarder. (Un canal a été creusé récemment entre les deux, mais leur proximité ne fut historiquement d’aucun contact.)

Aujourd’hui, musée des beaux-arts de Chambéry. Au premier étage, exposition sur Les Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau, avec des toiles d’Olivier Bernex. Quelques belles couleurs, surtout dans les toiles les plus récentes. Moins aimé quand il va vers des tons plus clairs. Moins aimé ses trolls, ses figures squelettiques, en vérité moins aimé ce qui était figuratif. On eût dit une hésitation constante entre la figuration, l’abstrait et l’action painting ; les toiles plus abstraites m’ont semblé meilleures. Voir les tableaux consacrés aux pots de peinture m’a rappelé les œuvres consacrées à ce même objet chez Ra’anan Lévy, vues il y a quatre ans à la fondation Maeght, et qui m’ont laissé un souvenir plus percutant. Comme nous marchions, je fis remarquer à Anaïs que, dans la série du peintre consacrée aux Rêveries de Rousseau, il semblait manquer le thème floral, le problème botanique, et une personne travaillant au musée et déambulant dans les salles, nous entendit et dit que ces toiles se trouvaient aux Charmettes, la maison de Jean-Jacques Rousseau située sur les hauteurs de la ville. Nous décidons donc d’y aller ensuite.

Entre-temps, nous allons au deuxième étage, celui de la collection permanente. A part quelques œuvres de la Renaissance, ce fut la première fois qu’il me sembla être déçu dans un musée des beaux-arts. Il m’a semblé voir des défauts partout, particulièrement sur les œuvres des XVIIe et XVIIIe siècle. Je n’ai pas retenu les peintres, petits maîtres oubliés, mais il y avait particulièrement une Mort de Caton où le pied était raté, avec un petit chien à côté, qui aurait été drôle s’il n’avait pas été le seul élément réussi du tableau, où tout le monde chialait, y compris Caton, dans une posture tout à fait absurde du point de vue stoïcien et qui aurait fait enrager Lucain. Il y avait aussi une Cassandre peinte au XVIIIe siècle, d’une sensualité absurde, et une Madeleine pénitente qui évoquait le cliché qu’on se fait habituellement de la poissonnière. Est-ce qu’enfin je commence à regarder la peinture classique avec un meilleur œil, ne m’émerveillant plus de tout et n’importe quoi parce que je m’y connaissais peu ? J’aimerais le croire, mais d’autres hypothèses sont envisageables. A la fin du musée se trouvait une très belle artothèque.

La maison de Jean-Jacques Rousseau, sur les hauteurs, est un endroit paisible. Il m’a semblé m’y sentir aussi bien qu’à Port-Royal-des-Champs, ce qui n’est pas peu dire. Lieu calme, sans beaucoup de choses, ce qui explique la gratuité de l’entrée. Un petit verger, un petit jardin, une vue sur la croix du Nivolet. J’y ai acheté Raphaël de Lamartine, que j’avais essayé de lire sur Wikisource, mais la lecture sur écran m’avait lassé. Lamartine comme poète m’a peu frappé, à part quelques classiques scolaires, mais il me plaît comme prosateur. Avec Les Rêveries de Rousseau achetées à Chambéry (notre édition, ancienne, tombe en lambeaux) et La Couleur tombé du ciel adapté par Gou Tanabé à la librairie de bande dessinée du centre de Chambéry, cela fait de bons achats livresques.

En rentrant, nous passons au musée Jean Faure d’Aix-les-bains, le billet acheté à Chambéry valant pour les deux musées. De même que le passage à la maison de Rousseau, c’est une sortie imprévue qui vaudra mieux que la sortie initialement prévue. La collection de Rodin et de peintres impressionnistes est très belle. Pour Rodin, par exemple, son Roméo et Juliette, où les deux amants s’entremêlent. Des Pissarro, un Degas, et deux Foujita, parmi d’autres œuvres très dignes d’intérêt.

Sur la route du retour, dans la nuit, une section avec travaux. Un sanglier traverse. J’ai les travaux à droite, des arbres à gauche, un type qui me colle derrière. Je fais ce qu’on m’a appris : je ne dévie pas, je ne pile pas, je ralentis suffisamment pour le laisser passer et ne pas me prendre la voiture se trouvant derrière. Cela aurait dû suffire, mais je vois dans ses yeux l’hésitation, il a un moment de peur avant le dernier élan. Je le percute sur l’avant-droit. Il était petit, le choc n’est pas énorme. Anaïs me dit qu’elle l’a vu s’enfuir, qu’il va peut-être bien ; mais j’ai vu un morceau s’envoler quand nous l’avons percuté. Ainsi se termine la journée.

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