Notes sur l’année scolaire 2023-2024

1. L’année a vu mon arrivée au collège, après trois ans en lycée. Ce n’était pas lié à une appétence particulière, mais à une question pratique : le collège se situe à cinq minutes à pieds de chez moi, je n’ai plus à faire près de deux heures de voiture par jour. Gain très appréciable. Évidemment, on commence par me demander quelles différences je vois en termes de travail et d’organisation. Réponse simple : autant de préparation de cours, plus de gestion de classe, beaucoup moins de corrections. Préparation de cours : les analyses sont moins complexes, mais les exercices à proposer sont beaucoup plus variés, car plus courts ; il faut organiser leur avancée logique plus finement. Gestion de classe : même si les secondes tendent à devenir de plus en plus pénibles (comme le gouvernement ferme des filières professionnelles, les places manquent ; ces filières deviennent sélectives ; les élèves qui ne sont pas sélectionnés en seconde professionnelle se retrouvent en seconde générale-technologique ; -ce n’est pas le seul problème, mais c’est le plus visible), rien à voir : les collégiens, particulièrement lors de l’année de 4e, bougent énormément, ont une pente vers le harcèlement de camarades, cherchent très souvent l’insulte et le contact physique, en plus d’être en plein trouble lié aux questionnements propres à l’adolescence, sans arriver encore à mettre les mots adéquats sur ces pensées (rapports familiaux, politique, religion, sentiments, sexualité, etc.). Corrections : loin en-dessous, les copies sont beaucoup plus courtes. Je dirais qu’il y a un tout petit peu moins de travail en collège, mais cela reste marginal.

2. Le collège où j’arrive a commencé son année par une « auto-évaluation », un moment imposé par l’administration (aux échelons supérieurs) pendant lequel nous réfléchissons sur notre environnement de travail et d’enseignement (administration, enseignants, non-enseignants, parents, élèves : tout le monde est convié). Les données statistiques sont claires : notre établissement se situe dans la moyenne nationale, aussi bien en termes sociaux qu’éducatifs : les parents ont une richesse moyenne dans la moyenne, le niveau est dans la moyenne. Les membres de l’équipe éducative se récrient : l’impression est celle d’une dégradation du comportement et du niveau des élèves. Le collège était classé REP il y a dix ans, il ne l’est plus à cause de la gentrification (la frontière suisse est à moins d’une heure, ouvriers et jeunes cadres commencent à affluer, car le plus proche est hors de prix même avec un salaire suisse), mais le niveau et le comportement paraissent les mêmes, voire pire. Deux explications sont possibles et complémentaires : 1° Les parents travaillant en Suisse ont un très gros capital économique, mais un petit capital culturel (les CSP+ habitent plus près de la frontière), et travaillent beaucoup, donc sont moins présents pour s’occuper de leurs enfants. 2° Mon explication préférée : Un collège « dans la moyenne nationale » est un collège pénible.

3° J’ai deux classes de 4e et deux classes de 3e, et suis professeur principal d’une de ces troisièmes. Le niveau 4e m’accapare immédiatement : gestion de classe difficile, niveau très bas. Nous discutons beaucoup en équipe, je change certaines méthodes, j’axe plutôt sur tel exercice plutôt que d’autres. Comme ils ont eu un Accompagnement Personnalisé (AP) efficace sur ces questions, ils ont de bonnes compétences à l’oral et en rédaction d’invention. Je me centre donc sur la compréhension de texte et la grammaire. Je peine à le faire sans que ce soit pénible et répétitif, et à obtenir des résultats. Je change à nouveau la manière de faire, puis revient à une manière plus répétitive, pour que se mettent en place des automatismes. Les élèves qui suivent en classe acquièrent ces automatismes et progressent, d’autres non. Sur France Université Numérique, je m’inscris à une formation sur l’accompagnement des élèves ayant des troubles neuro-développementaux, en particulier -dys- ; elle est très intéressante et utile. Je réfléchis sur mes pratiques ; on réfléchit, à l’échelle de l’établissement, sur la manière d’accompagner ces classes (tous font le même constat que moi sur le comportement et le niveau) vers le brevet. Là-dessus, patatras : Gabriel Attal annonce la mise en place des groupes de niveau. Branle-bas de combat dans l’administration et désarroi des professeurs de français et de mathématiques : toutes nos réflexions sont mises de côté, on doit faire face à cette arrivée désagréable. Le simple fait d’avoir une réforme de cette ampleur casse toutes les dynamiques positives. La multiplication des réformes est ce qui nuit le plus à l’éducation nationale. Au moment où l’on s’est approprié une réforme précédente, une nouvelle arrive. On travaille sans cesse sur la mise en place des réformes, plutôt que sur la manière d’améliorer nos cours et de faire progresser nos élèves sur le temps long.

4. Ce que je viens de dire, les enseignants les savent bien, et le répètent à l’envi. Les gouvernements refusent de les écouter. Gabriel Attal a lancé cette réforme à marche forcée pour prouver qu’il était un dur, qu’il avait du courage, bref pour faire carrière ; et ça a marché. Nous, nous restons sur le carreau. Personne ne veut des groupes de niveau. Personne ne veut des « groupes » (puisqu’ils ne sont plus de niveau mais « de besoin », ou parfois appelés simplement « groupes » : on doit faire des groupes selon le niveau, mais ce ne sont pas des groupes de niveau, d’après notre nouvelle ministre). Les enseignants n’ont évidemment pas été consultés. Si on les consultait, ils risqueraient de donner de bonnes idées ; on ne pourrait plus les accuser d’être responsables de la dégradation de l’éducation nationale. C’est lié au problème plus global de la pensée gouvernementale actuelle, celle des grands cabinets de conseil : les travailleurs ne connaissent pas leur outil de travail, seul le Grand Manager Qui Pense Global le connait. Je sors de l’année avec l’idée bien réelle que des ministères successifs ont cherché sciemment à m’empêcher de bien travailler. Discutant en salle des professeurs, il me semble pas que ce soit un avis personnel, ou celui d’un syndicaliste énervé (je suis un syndicaliste en carton et je m’énerve rarement). La profession vit dans une colère froide : la plupart a abandonné tout combat, par lassitude ; beaucoup sèchent les réunions, ou y gardent un silence obstiné. Tactique d’évitement assez efficace en termes personnels ; c’est d’ailleurs l’attitude recommandée par les vendeurs de développement personnel, qui sont le pendant inévitable des sociétés à burn-out.

5. Quelques beaux progrès. Les élèves de 3e ont chacun rédigé une longue nouvelle de science-fiction. Une mère d’élève me dit que sa fille s’exprime beaucoup mieux depuis le début de l’année ; elle attribue ça aux huit livres qu’ils ont lus et travaillés en cours de français. Les 4e ont compris comment bâtir des fiches de révision pour un devoir commun. Quand j’ai fait faire des recherches de poèmes sur la ville aux 4e dans leurs cahiers de lecture, ils m’ont indiqué des choix par des expressions du type : « J’ai choisi ce poème de Gérard de Nerval parce que je connaissais cet auteur, dont j’avais apprécié la nouvelle ‘Le Monstre vert' ». Ils disent avoir ressenti l’année comme agréable. C’est déjà ça.

Une réflexion sur “Notes sur l’année scolaire 2023-2024

  1. Etre enseignant semble très sombre. Je ne sais pas si ça peut vous rassurer, mais on vit les mêmes réformes successives dans mon administration, pensées avec les pieds par des gens qui veulent juste faire des économies de bouts de chandelle (on a un budget ridicule).
    Résultat : on passe autant de temps à essayer d’absorber les réformes face aux usagers (qui sont en face de nous et pas du Ministre, qui dit à qui veut l’entendre que tout marche du feu de dieu) qu’à faire le travail qui ne se fait toujours pas tout seul malgré ce qui nous a été promis pour justifier la réforme (et les suppressions de postes qui vont avec).
    Je ne pense pas que ce soit au niveau de l’Education nationale cela dit : on continue d’avoir un flux continu d’enseignants qui, désespérés de leurs conditions de travail (sans même parler de leur salaire), viennent trouver refuge chez nous.
    Tout ça pour dire : bravo ! (et bon courage pour la prochaine réforme qui défera celle-là)

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