Les folles semaines (2)

L’esprit de l’époque fait que tout moment historique est rapidement recouvert par le dérisoire. On voudrait garder le sérieux et l’emphase qui nous ont tenus de dimanche soir à mercredi matin, mais on ne peut pas. Eric Ciotti, petit chauve hargneux tout droit sorti d’un épisode de South Park, s’auto-séquestre au siège de son parti, constituant la première ZAD du VIIe arrondissement de Paris. Valérie Pécresse arrive en se retroussant les manches, les ténors LR commencent à hausser le ton, M. Kasbarian, de sinistre mémoire, rappelle la loi récente contre les squatteurs qui porte son nom et fut ardemment défendue par ledit Eric Ciotti. Certains comparent la séance à House of Cards, mais en vérité on se sent plus proches de Groland. Cela aussi est une ambiance de l’époque : nous lisons les événements à l’aune des fictions de divertissement. La politique est elle-même spectacle de divertissement. Cela m’a rappelé la fameuse phrase de Frank Zappa, qui revient souvent ces temps-ci sur les réseaux : « La politique est la section divertissement du complexe militaro-industriel. » Du moins est-ce ainsi qu’on nous incite à le voir ; la véritable action politique se fait hors des médias, sur le terrain associatif, syndical et partisan, en allant voir les gens, tractant, discutant, manifestant. Certains croient sans doute que leurs tweets ont une grande portée. Je n’y crois pas beaucoup : avoir mille retweets de personnes déjà convaincues n’apporte rien, juste un peu de publicité. Les gens qui verront votre tweet sans vous connaître le verront ainsi : du marketing pour tel ou tel parti. On prêche essentiellement des convertis. Le plus efficace reste la discussion avec ses proches. Un proche vous connait comme personne, et non comme image de marque (sur les réseaux, nous créons tous notre propre marque, même quand c’est pour dénoncer les marques et l’aliénation). Il sera plus touché par nos propos car il sait (ou considérera vraisemblable) que nous ne les tenons pas par esprit de parti ou par volonté de se faire bien voir en ligne, mais par cheminement. Enfin, les paroles ont beaucoup plus de force rhétorique en contact direct que sur une publication ouverte à tous. Cette manière-là de faire nous sortirait, peut-être, de la bouffonnerie médiatique. A moins que ce ne soit pas seulement l’oeil des médias, mais le monde entier qui est devenu comme South Park, et à moins que ce processus de discussion nous amène à être dans la vie courante aussi bêtes que sur les réseaux. Auquel cas, nous sommes fichus, -mais pas plus que d’habitude.

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