Le Bouddha d’Odilon Redon

Au musée Van Gogh d’Amsterdam se trouvent trois tableaux d’Odilon Redon. Peu de gens s’arrêtent devant, encore moins prennent le temps de les contempler réellement. Il y a là deux raisons : la première, plus générale, est celle du tourisme muséal, qui fait qu’on va aux musées des grandes villes comme on va au parc célèbre ou à manger une spécialité locale, pour dire qu’on l’a fait, sans se poser de questions esthétiques ; la deuxième, plus particulière, est qu’on se trouve au musée Van Gogh, et que les gens y viennent pour voir des Van Gogh : beaucoup de chefs-d’œuvre d’autres artistes y sont présents, mais délaissés.

Les trois tableaux présents sont dans la même salle, séparés des Van Gogh par une demi-cloison. Dans l’ordre de visite, le premier tableau d’Odilon Redon visible est Figure sous un arbre en fleur (voir ci-dessus). Il fait un contrepoint assez admirable à la technique de Van Gogh, notamment à l’Amandier en fleurs (voir ci-dessous) qui se trouve au bout de la salle suivante : même attrait pour l’arbre détaché d’un contexte, même apparence d’estampe et d’impression fugace, mais avec un choix de couleur radicalement opposé, et une forme d’ombre liée à l’effacement du personnage, alors que les peintures de Van Gogh sont pour l’essentiel solaires.

Le deuxième tableau de Redon présent sera connu des littéraires, puisqu’il forme la couverture d’A Rebours de Huysmans dans l’édition Folio : il s’agit de Au Paradis ou Les Yeux fermés. Un tableau bien plus introspectif que les paysages qu’on trouve dans le reste du musée. A vrai dire, comme le Portrait de Félix Auerbarch d’Edvard Munch présent dans la salle suivante, il paraissait un peu déplacé au sein de la visite du musée. Je ne m’attarde pas dessus, car je ne m’y suis pas attardé non plus lors de mon passage, le connaissant déjà et étant alors un peu fatigué (nous sommes au troisième étage du musée, les jambes commencent à fatiguer), mais je vous le remets ici, par simple plaisir.

C’est le troisième tableau qui m’a saisi et m’a obligé à rester plusieurs minutes devant lui. Il s’agit d’une œuvre intitulée Le Bouddha. Elle m’a frappé tout d’abord pour ses couleurs singulières, mais aussi par le fait qu’on découvre seulement tardivement le personnage qui fait le titre du tableau. En termes picturaux, la place principale est en effet prise par l’arbre et par les fleurs, le Bouddha est mêlé à l’arbre, la couleur de sa tête se mélange à celle de l’arbre. Il y a là un travail de cette figure tout à fait singulier, et d’une étonnante pertinence. En effet, lorsqu’on analyse l’art asiatique, et particulièrement l’art imprégné de bouddhisme, c’est un lieu commun de remarquer qu’il est étrange de représenter le Bouddha de manière matérielle, alors que tout son enseignement fait signe vers une négation de la matérialité. Une statue de Bouddha est un paradoxe ; elle est d’autant plus paradoxale qu’elle se veut imposante, lourde. Odilon Redon rompt ce paradoxe en montrant le Bouddha disparaissant dans la nature. Le sujet du tableau, c’est le fait que le Bouddha se mêle à l’arbre, disparaît à la vie matérielle.

Sur le rapport entre art et enseignement religieux (en l’occurrence bouddhiste), Odilon Redon fait une proposition tout à fait virtuose, me semble-t-il. Que le tableau m’ait paru magnifique par ailleurs est un autre fait, que je ne développerai pas ici, car il faudrait une somme infinie pour expliquer pourquoi un tableau nous semble beau. C’est la réussite intellectuelle qui m’a d’abord frappé.

Une dernière chose. Le public français connait, sous le même titre Le Bouddha, une autre œuvre d’Odilon Redon, qui se trouve au musée d’Orsay (voir ci-dessous). Tableau certes lui aussi très beau, mais qui ne reprend pas la réponse artistique donnée au problème de montrer l’effacement matériel. Malgré la présence de l’arbre et d’un ciel empli de mystère, le Bouddha en impose, il semble d’ailleurs en posture d’enseignement, au moment où il va imposer sa pensée. On a là, finalement et malgré le travail singulier des couleurs, un pendant plus classique.

2 réflexions sur “Le Bouddha d’Odilon Redon

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