Fin de l’été

Vers mes dix-huit ans, quand j’ai commencé à suivre des gens parlant de poésie en ligne, je recevais la newsletter d’un ami d’ami qui écrivait de la poésie, et partageait dans cette lettre régulière ces dernières productions, accompagnées de quelques remarques. A chaque entrée dans une nouvelle saison tombait nécessairement une nouvelle lettre d’informations, terminée par des mots du type : « en vous souhaitant une belle entrée dans l’automne ». Je trouvais cette formule d’envoi un peu ridicule. J’y percevais une sorte de résidu romantique un peu niais. Une part encore plus critique de moi-même y voyait là un malaise complet dans le rapport au contemporain et à la vie en général, un abandon du fait lancinant qui veut que, comme dit la chanson, every day is exactly the same. Plus tard, je songeai que notre observation des saisons ne se faisait plus tellement dans le ciel, que nous voyons désormais à peine, mais dans les rayons des supermarchés, où les « offres spéciales » liées aux tondeuses et aux transats annoncent mieux que les hirondelles l’arrivée du printemps. Plus globalement, les différents rapports du GIEC nous indiquent que l’expression « il n’y a plus de saison » est désormais une réalité scientifiquement prouvée. Cette dernière phrase est évidemment excessive : notre rapport aux saisons est désormais lié aux deux extrêmes que sont la canicule et la neige, avec au milieu une gamme d’ambiances intermédiaires, scandées par les brusques changements de température. Pourquoi, alors, ai-je regardé l’autre jour la date de la fin de l’été, et me suis dit que, pour une fois, ce passage me semblait un passage et pas rien du tout ? Peut-être qu’habitant maintenant dans un coin où je vois un petit peu plus de ciel, et m’efforçant de sortir de chez moi ne serait-ce que pour que mes filles fassent un peu d’exercice (car, adolescent, je vivais à la campagne et, comme la plupart des adolescents à la campagne, je ne sortais quasiment pas de la maison), je suis plus attentif aux questions de changements naturels, peut-être que la nature ne m’est plus seulement une vague catégorie philosophique mais un fait réel. L’autre jour, un collègue a proposé d’aller à la cueillette aux champignons en groupe, et je n’ai pas trouvé ça incongru. Peut-être donc que, rangé du bitume, je m’idyllise, me naïvise. Ou alors c’est que l’hiver approche, et que l’hiver, pour moi, est indiscutablement lié à Sylvia Plath, et donc à un danger vital, et à un danger poétique, à savoir le danger de la fin du poème. J’ai écrit deux textes là-dessus sur ce site, l’année dernière. Il y a d’abord la réalité sociologique : les plus forts taux de suicide sont, de très loin, sur les mois de novembre et de février. La fin de l’été, c’est le début des dangers : l’automne avec novembre, l’hiver avec février. Sylvia Plath, suicide le 11 février. Tous les ans, même les bonnes années, le 11 février, je sens comme une libération : le plus dur est passé. On peut envisager sereinement la remontée et respirer jusqu’à la fin de l’été suivant. A partir de fin septembre, au contraire, c’est le moment de mettre en place les stratégies pour tenir l’hiver. Pile à lire, livre à venir, tentative de reconstruction des citadelles intérieures, projets d’activités en intérieure, pensée aux « opportunités professionnelles », que sais-je encore, chacun dresse plus ou moins consciemment les pions qui vont permettre de combattre l’hiver. Certains font même du ski, c’est dire à quel degré d’absurdité nous sommes prêts à aller. Sur ces bonnes paroles, il me reste plus qu’à vous dire : que l’automne vous soit favorable.

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Mon texte « La fin du poème. Sylvia Plath » : https://anathnosfe.fr/2022/10/16/la-fin-du-poeme-sylvia-plath/

Mon poème « Passer l’hiver » : https://anathnosfe.fr/2022/12/27/passer-lhiver/comment-page-1/#comment-14

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