Les fortes pluies d’hier ont indiqué le cœur de l’automne. « Cœur de l’automne » est probablement une expression qui ne veut rien dire. Qu’attend-on de l’automne ? De la pluie, de la fraîcheur sans froid, des ombres portées par les nuages. Des orages, peut-être, bien que les orages soient plutôt le signe de la fin de l’été. Chateaubriand, au début des Mémoires d’outre-tombe, place ainsi sa naissance le 4 septembre au cœur de l’automne, ce qui, selon le « bon sens », est absurde, mais absolument nécessaire en termes de signes poétiques, ou plutôt dans la construction des images et des thèmes qui structureront l’ensemble de son œuvre. Le plus grand signe d’un changement de paradigme métaphorique depuis le romantisme est sans doute que nos œuvres sont passés de l’antinomie centrale entre automne et printemps à celle entre été et hiver. (Idée quelque peu excessive, puisque les Voyages d’hiver ont été nombreux et centraux chez les romantiques allemands, mais beaucoup moins en France et en Angleterre. Passons.) A vrai dire, comme je l’ai déjà rappelé, en termes de saison, notre actualité contemporaine tient plus certainement dans le fait que l’expression « il n’y a plus de saisons » est désormais scientifiquement valide. Canicules en été, pluies torrentielles en automne, neige de plus en plus sporadique en hiver, et un passage presque sans transition de l’hiver à l’été. Toutes ces réflexions me sont venues hier, tandis que je lisais La Ballade du Vieux Marin et autres textes de Samuel Taylor Coleridge en attendant un tacos. Les gens autour de moi avaient des têtes d’automne, sans que je puisse clairement définir ce que cela signifiait. Je ne commenterai pas la traduction de Jacques Darras, car j’ai déjà trop laissé aller ici mon inclinaison pamphlétaire. Sa préface, en revanche, est intéressante, car elle pose des jalons sur l’invention du paysage qui apparaît avec le romantisme, véritable révolution du regard. C’est un truisme de dire que Rousseau est le premier à avoir trouvé belles des montagnes ; peut-être trouverait-on des contre-exemples sporadiques, mais les romantiques restent les premiers à avoir systématiquement valorisé les éléments naturels. « O happy living things ! no tongue / Their beauty might declare » (Coleridge). La majorité d’entre nous ne savent pas reconnaître un arbre d’un autre, une fleur d’une autre. Peut-être sommes-nous redevenus des classiques ? Ou, pour le dire avec l’expression de Pascal Quignard, notre postmodernité est-elle un antéarchaïsme. Pendant ce temps se poursuit le conflit israélo-palestinien, le conflit russo-ukrainien, le conflit azéri-arménien. Les rayons consacrés à Halloween sont mis en valeur dans les supermarchés, ceux consacrés à Noël sont déjà en embuscade. Tout se mélange et c’est peut-être ça, le cœur de l’automne.
Illustration : Caspar David Friedrich, Le Moine au bord de la mer. C’est le tableau sur lequel j’ai fait travailler mes élèves de 3e cette semaine, en regard du texte de Chateaubriand mentionné dans le corps de l’article.