Bribes du 15 novembre 2023

Je ressens désormais comme une forme de devoir de publier sur ce blog. Cela n’a pas vraiment de sens, mais se rapproche peut-être du « Il faut travailler » de Tchekhov. L’écriture est bien vaine, on ne sait ni pour qui ni pour quoi on écrit (sauf quand on invente des formules aimables pour journalistes ou pseudo-poètes), mais s’il y a une infime possibilité qu’écrire améliore quoi que ce soit dans l’esprit de l’auteur ou du lecteur, alors cela vaut la peine.

Depuis longtemps déjà j’ai du mal à lire de longs ouvrages. J’en ai déjà fait état ici : cela date de l’époque où je n’avais le temps de lire que dans les TER, bus et métros. Ces derniers temps, par épuisement des livres courts dans ma pile à lire, je me retrouve avec des pavés dans lesquels je vais et vient, discontinûment : L’Obsolescence de l’homme de Günther Anders, Les Enfants de Minuit de Salman Rushdie, Nietzsche, lecteur de Pascal de Lucie Lebreton, et plusieurs autres. J’entrecoupe ces lectures d’autres lectures, de manière assez absurde. Ainsi de livres lus d’une traite : La France contre les robots de Georges Bernanos, et surtout, que je viens tout juste de terminer, Le Spectateur d’Imre Kertész. Par une sorte d’étrange miracle, ce dernier livre s’est trouvé mis en valeur dans le rayon central de l’aile droite de ma librairie de ville moyenne ; dès qu’un livre correct émerge dans cette ambiance assez médiocre, je le prends. Cela fait plusieurs années que Kertész compte parmi mes écrivains favoris ; j’ai aimé retrouver ses journaux-cahiers (qui n’en sont pas véritablement, puisqu’ils ont été retravaillés avant l’édition), parmi lesquels j’avais adoré Journal de galère. Ici, la question centrale est celle d’un double changement : la mise en place du nouveau régime hongrois après la chute du communisme, et l’accès au succès de l’écrivain, jusque-là inconnu dans les limbes de Budapest, alors qu’il écrivait depuis près de trente ans.

Des changements sourds s’opèrent depuis ma prise de conscience que j’écrivais de la prose coupée et non réellement des poèmes. J’écris plus en prose simple, et quand je reviens à la prose coupée, c’est avec de la ponctuation, ce qui ne m’était plus arrivé depuis. Un exemple :

Tu ne savais plus à quel mot te vouer

te regardant reflet infime dans la vitrine

presque transparent comme la langue ancienne rêvée

et les voitures comme des arbres dans le décor.

Tu avais besoin d’un mot clair et distinct

pensant qu’il te relèverait et t’emmènerait loin

vieux rêve romantique et d’un pâle exotisme

tandis que se mêlaient les odeurs de la ville.

Tout t’échappait et tu y voyais

peut-être motif à poésie

mais quand images et mots et syntaxe fuient

on n’écrit pas mieux en disant qu’on ne peut écrire.

J’étais assez content de cela, qui correspondait à mon idée de la carte postale : un aphorisme (ici au dernier vers, alors que je le mets habituellement au premier), une image (le reflet de soi dans la vitrine d’une ville), un état intérieur (la recherche de stabilité intérieure).

Malgré les textes qui s’accumulent ici, je me rends compte que je n’ai encore jamais véritablement attaqué la question du bonheur. Comme pour l’amour, j’ai peur de n’y être pas à la hauteur, de rester dans des poncifs, des naïvetés. Cependant, je crains que les années passent sans que j’eusse réussi à dire cela, qui entoure une bonne part de mon existence. Sans doute les poètes heureux n’existent pas ; mais comme j’écris de la prose coupée et non de la poésie, tout est permis.

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