Printemps des Pouets

Le débat sur le parrainage du Printemps des Poètes par Sylvain Tesson nous a d’ores et déjà offert suffisamment de textes pour réaliser toute une thèse sur le sujet. La pétition de 1200 poètes contre ce parrainage, dans Libération, en fut le point de départ. Il y eut ensuite la torrent d’injures dans les médias de droite (Figaro, Valeurs actuelles, Le Point…), mais surtout des interventions ponctuelles, beaucoup plus intéressantes : Claro, Adeline Baldachino, Frédéric Forte, William Marx, André Markowicz, entre autres.

Beaucoup n’ont tout simplement pas compris pourquoi le choix de Sylvain Tesson avait été fait. Il est en effet reconnu comme écrivain par le public, mais pas comme poète. En poésie, il n’est pas reconnu par ses pairs, nombreux sont d’ailleurs les poètes qui ne l’ont simplement pas lu. Au-delà de la question politique, son parrainage du Printemps des poètes a semblé étrange. Il faut donc rappeler que le parrain de cette manifestation n’est jamais poète ; traditionnellement, il s’agissait d’une personnalité issue du cinéma. Au-delà de la question politique, il y a ici eu le souci que Sylvain Tesson est justement plus près du champ de la poésie que ne l’étaient Sandrine Bonnaire ou Michael Lonsdale : Sylvain Tesson est un écrivain de ce que Deleuze et Guattari appellent « littérature majeure », celle qui est acceptée et vantée par les institutions de l’époque, tandis que l’immense majorité des poètes actuels appartiennent à la « littérature mineure », c’est-à-dire qu’ils doivent creuser leur sillon loin des caméras, des grands éditeurs, des ventes et donc de l’argent qui va avec. Cela explique le fait que la plupart des poètes contemporains considèrent Sylvain Tesson comme un auteur médiocre, dont le succès est lié à une image savamment travaillée. Il est, en somme, Michel Onfray avec un sac de campeur.


L’explication du choix de Sylvain Tesson comme parrain est cependant simple : dans le champ économique de la poésie, Gallimard est le poids lourd. C’est Sophie Nauleau, liée à Gallimard, qui préside le Printemps des poètes. Elle place donc un auteur Gallimard. Auteur qui a l’avantage d’être un écrivain voyageur, donc dans le créneau de l’autre poids lourd à la poésie chez Gallimard, à savoir André Velter, mari de Sophie Nauleau. Sylvain Tesson est de plus proche d’Emmanuel Macron, donc toutes les institutions sont contentes.


Commençant à écrire ces lignes, j’appris la démission de Sophie Nauleau, qui s’écarte donc de la direction artistique du Printemps des Poètes. Entre ce dernier parrainage, les thèmes choisis toujours emplis de niaiserie néo-lyrique, et la pratique autoritaire de sa direction (sans parler de la qualité de ses propres livres : La Vie Cavalière était une purge), j’ai pu voir plusieurs poètes, généralement signataires de la fameuse pétition, afficher leur satisfaction. En attendant, ces milliers de personnes, et bien d’autres, généralement bénévoles (ou très précaires) continuent de préparer des événements, sans savoir si la manifestation aura lieu ou non.


Pour fêter les cent ans du surréalisme, réveiller les fractures au sein de la poésie était néanmoins d’une pertinence profonde. Plus que Sylvain Tesson et Sophie Nauleau, c’est tout une table qui reste à retourner. Le thème imposé de « la grâce » est lui-même une disgrâce, contrairement à ce que suggère la niaise formule terminant la pétition, « la grâce qu’on nous enlève » ; -André Markowicz, dans ses interventions par ailleurs très peu charitables, s’est déchaîné sur cette formule-ci. Le terme même de « Printemps des Poètes » est également une invitation à la sclérose et au passéisme en matière de poésie.


Si quelqu’un voulait reprendre le flambeau du surréalisme, sans doute pourrait-il proposer une contre-manifestation, qu’il pourrait appeler « Printemps des Pouets », en proposant le thème de « la graisse » et l’écriture de textes autour des tessons de bouteille, qu’on pourrait accompagner de tessons réels jetés sur les écrivains établis. Cela aurait au moins un peu de panache.


L’avantage de tout cela, qui correspond bien au but du Printemps des Poètes (à savoir, comme la rentrée littéraire : vendre des livres), c’est que la poésie est soudainement réapparue dans le champ médiatique. Ne vous offusquez pas des insultes droitières : ils vous font de la publicité gratuite. Les polémiques font vendre. J’en rendrais presque justice à Sylvain Tesson en disant qu’il arrive à faire vendre de la poésie aussi bien avec et contre lui.


En revanche, si l’objet de la pétition initiale était bien la lutte contre l’avancée des idées d’extrême-droite, je ne suis pas certain qu’on ait avancé d’un iota sur cette question-là. Plus généralement, dans toutes les franges de la poésie contemporaine, il me semble que le discours politique reste à réinventer.

7 réflexions sur “Printemps des Pouets

  1. Très bonne réflexion sur l’affaire « Tesson ». En voici une autre, si je peux me permettre, signée Georges Guillain (poète et critique littéraire) qui rejoint, à bien des égards, la vôtre et a circulé sur FB : « IRRESPONSABILITÉ CULTURELLE !
    M’étant entretemps lavé la tête en lisant un peu de bonne poésie je reviens sur la bien triste image que les réactions outragées qu’on a pu lire un peu partout au sujet de la tribune de Libération dite anti-Tesson, donnent de l’état de notre « intelligentsia ».
    J’ai tenté, il y a quelques jours de synthétiser mon sentiment dans une courte mise au point partagée sur Facebook, pour signaler mon refus d’être en quoi que ce soit identifié à ceux qui parlant des malheureux signataires de cette maladroite tribune, au lieu de la discuter voire pourquoi pas l’ignorer, se sont répandus contre eux en propos d’une violence qui en dit long sur leur incompréhension des modes d’existence réelle des arts et de la culture et de l’irrespect dont ils sont capables envers ceux qui les font vivre.
    Ces fameux inconnus, ces nains, ces médiocres, pour ne pas dire ces cafards à qui s’en prend une trop large part de notre sphère politico-culturo-médiatique, sont en fait l’indispensable armée de l’ombre sans laquelle, puisqu’elle n’apparaît quasiment qu’à travers eux, la poésie telle qu’elle s’écrit, se pratique, n’existerait pas. Pas de poésie aujourd’hui sans ces petits éditeurs, ces libraires, ces bibliothécaires, ces professeurs, ces petites associations, qui multiplient leurs efforts pour empêcher son invisibilisation par cette société marchande que n’intéresse en fait que l’immédiate rentabilité. Dévaloriser ensuite ces poètes qu’on trouve dans la liste des signataires en moquant leur absence de notoriété – conséquence en fait du manque de curiosité réelle de ceux qui les accablent – me semble aussi absurde que de dénier toute valeur, toute importance à ces bataillons de scientifiques, historiens, géographes, philosophes, architectes, médecins etc. qui contribuent à l’amélioration de nos sociétés, au prétexte qu’ils ne font pas partie de la maigre poignée de ces personnalités médiatiques dont on entend parler.
    En fait il semble bien qu’aux yeux d’une bonne partie de notre classe politico-culturo-médiatique, il existe toujours deux sortes d’individus. Ceux qui méritent considération car le système les a distingués et ceux qui ne sont rien car ils sont anonymes. Pénible vraiment de constater jusqu’où cette lamentable façon de ne s’estimer, se respecter, que selon l’importance de sa réussite sociale, sa dimension médiatique et par voie de conséquence l’importance de son carnet d’adresses, semble avoir été poussée dans ce petit monde outrecuidant qui, en d’autres temps, sûrement aurait choisi Fréron plutôt que Voltaire et aurait crié au scandale en entendant le jeune Rimbaud déclamer son Bateau ivre au dîner des Vilains bonhommes.
    Comment ne pas souffrir donc aujourd’hui en voyant que certains de ceux qui disposent du pouvoir de faire exister, de celui d’éclairer, qu’ils soient ministres de gauche comme de droite, ou journalistes, voire encore intellectuels ou philosophes disposant d’un accès direct aux médias, ont choisi, pour défendre une personnalité aux accointances douteuses dont ils ne veulent voir que les qualités supposées de style, l’importance des ventes et l’audimat qu’il est en puissance de générer, d’attaquer bassement et parfois même ignominieusement, non seulement les signataires sans doute maladroits d’une simple tribune désirant simplement alerter sur les dérives d’une institution sensée les représenter mais aussi à travers eux la foule de ceux qui chaque jour et depuis des années, se bat pour faire davantage exister les formes actuelles et les valeurs de fond de notre poésie. »

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  2. Un texte qui a bien du mordant ..Et qui a le mérite d’être renseigné…
    Evidemment que le cercle est fermé autour de la toute-puissance de Gallimard…
    De là à tomber aussi dans les mêmes généralités..( les poètes ne lisent pas Sylvain tesson, par exemple…) Ou qu’il n’y a plus de poésie engagée…étrange, j’en lis chaque jour …

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    1. J’ai vu passer plusieurs poètes affirmant qu’ils ne l’avaient pas lu, ce qui était parfois faux, mais une manière polémique de dire que son oeuvre était indigne d’intérêt.

      Je ne dis pas qu’il n’y a plus de poésie engagée, ce n’est pas du tout l’objet de mon dernier paragraphe ; j’en lis aussi chaque jour ; en revanche, je m’interroge sur son efficacité (arrive-t-elle à convaincre ? convaincre de quoi ? combien de personnes ?), et cela reste un angle mort du débat.

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  3. Bonjour,

    La tribune anti Tesson, fait malheureusement suite à d’autres, qui de fait, ‘Pouet’, ont eu elles aussi, un impact particulièrement ravageur.

    Médiatiquement parlant, la démission de la direction artistique de l’événement de ce ‘ Printemps’, signe probablement le puissant potentiel destructeur de pareils mouvements.

    @KURONUSHI est un artiste japonais. Il travaille finement, sur la base de cartons, desquels il façonne des bouts, encollés, puis mis, bouts à bouts.

    Un précis savant jeu de lumière offre un panorama premier aux scènes ainsi constituées.

    Cependant, et d’ombres faisant, ce sont des portraits spectaculaires qui sortent du jeu des possibles.

    De cette funeste ‘violence’ actualisée en France , à la plus grande loterie des idées, comment serait-elle contrée, à la faveur de médias ‘Pouet’ pour tant orientés ?

    Il y a tellement de choses que l’esprit humain ne saisit pas encore.
    Parfois, je me dis que collectivement, ça ne saurait trop tarder …

    “Ouvrir les yeux est un antidote au désespoir.” Nous vient du ‘Petit Traité sur l’immensité du monde’, de Sylvain TESSON.

    … ‘ Printemps des Pouets ‘, c’est sans doutes à sa grâce, sacrément bien trouvé ! Mercis.

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