il n’y avait pas d’époque déterminée
déjà ça partait mal
on ne pouvait pas vraiment les dire roman
tiques symbolistes surréalistes ou peut-
être les qualifierait-on de postmodernes
ce mot fourre-tout dont personne ne connaît le
sens
déjà ça partait mal
certains prenaient simplement la parole
d’autres enchaînaient les métaphores
d’autres encore louaient l’artisanat poé
tique et les vertus du travail
tous en tout cas trouvaient cela très poli
tique et croyaient encore au mot poésie
pleins de bons sentiments
si je devais écrire aux gens que j’aime
je leur dirais que sans doute mon travail n’
est pas grand-chose et oui un peu étrange
je leur dirais que certains font des marathons
Seigneur des Anneaux et que je fais des mara
thons Dante (on dirait une recette) (à vrai
dire je fais les deux marathons)
si je devais écrire aux gens que j’aime
pour leur expliquer tout de même un peu
pour décrire mon activité principale à
savoir oui à savoir la poésie
je n’utiliserais pas les pirouettes habi
tuelles celles qu’on envoie sur les réseaux
ou dans les dissertations de khâgne
« la poésie est ce qui ne s’explique pas ce
qui ne se décrit pas ce qui excède tout sens
c’est l’insensé devenu sens
l’éclatement des réponses et l’éclatement
des questions » et autres jolies fadaises
sans doute dirais-je à mes filles que je
voulais qu’une trace demeure que quel
que chose résiste au passage du temps
c’est un peu niais mais c’est vrai
(la vérité est souvent niaise)
je dirais aussi que j’aimais bien jouer
avec les mots avec le temps des mots
la poésie était la poursuite de mes blagues
peut-être ou peut-être pas puisque
souvent mes poèmes étaient tristes
mais passons
mes amis auraient un petit sourire aux lèvres
car presque aucun de mes amis n’apprécie la
poésie et encore moins la poésie contempo
raine quand il n’y a plus de vers et de ponctu
ation et puis des jeux étranges sur la syntaxe et
même des coupures de mots alors là c’est
vraiment trop énergumène un jeu d’intellos en
somme un jeu à somme nulle
peut-être est-ce même seulement un jeu social
je dissémine une référence à Roubaud une réfé
rence à Roche une autre à Vinclair les amateurs
apprécieront (ou trouveront cela vu et revu)
et alors quel intérêt ? pourquoi cette vanité ?
et si je réponds « bon qu’à ça » c’est encore
une référence on n’en sort pas
et pendant tout cela toute l’écriture la ré
écriture le temps passé à l’ouvrage aucun
sens ne paraissait sortir le sens me sem
blait au bout du chemin une sorte d’idéal
au détour d’un vers peut-être il jaillirait
comme on attend un messie dans les
romans de László Krasznahorkai
et le sens n’arrive jamais il est déjà
parti ailleurs dans tous les sens
à la fin tu es las de ce monde insensé