Ce sont ces jours classiques où l’on s’habille chaudement le matin, car il fait froid, et où l’on en crève de chaud l’après-midi. Le réchauffement climatique n’y est pour rien, mais on y pense naturellement, dès que la météo passe en courant dans l’esprit. J’y songeais en voyant, début avril, tomber des giboulées de neige quand j’amenais ma dernière fille chez sa nounou, au pied du Jura ; quelques heures plus tard, la montagne blanche était redevenue verte. Aucune importance, peut-être. Il est difficile de regarder la nature, il est encore plus difficile de ne pas la regarder niaisement. Sans doute est-ce là une gageure majeure de la poésie contemporaine : les propositions en ce sens sont nombreuses. Le problème politique y apparaît souvent de manière détournée, inassumée, car il faut absolument ne pas paraître politisé, militant, c’est très mal le militantisme. Mais il est vrai que, quand on observe le consensus scientifique sur le réchauffement climatique (les températures de 2023 dans le monde dépassent les théories des climatologues les plus catastrophistes), on comprend le geste de George Oppen durant les années 1930 : abandonner entièrement l’écriture pour se consacrer uniquement au militantisme. Beaucoup le font, en vérité. Beaucoup dans ma génération s’engagent aussi par la disparition : hors des réseaux, loin des centres, dans un demi-silence permanent. Si on observe les données matérielles de mon existence, peut-être pense-t-on la même chose de mon parcours. Dans tous les cas, on en a fini avec les grandiloquences, et c’est heureux.
Je songeais à cela, par associations d’idées, en repensant au poème en prose. Ce que je lisais m’ennuyait, donc je revins à mes premiers attraits poétiques, c’est-à-dire le travail de l’image, de la phrase qui fait éclater le sens. Le temps est soit au vers libre, soit au travail sur le rythme du vers, si bien que le poème en prose souffre d’abandon relatif. Il n’y a plus la nouveauté initiale, ni de grandes entreprises comme celles d’Artaud, de Char ou de Ponge, qui utilisèrent cette forme pour travailler à une révolution de la vision. Ou peut-être cela existe-t-il, et ne suis-je pas au fait : tellement de livres se publient chaque année en poésie qu’on manque sans doute l’essentiel…
Je fais état rapidement de ces réflexions sur le poème en prose sur SensCritique : https://www.senscritique.com/liste/poesie_en_prose/3813515?page=1