Travail

dans le temps j’écrivais des poèmes et

aussi quelques journaux des sortes de

cahiers où les idées se jetaient comme d’elles-

mêmes dans une rage un peu adolescente

dans le temps j’écrivais et je

comptais les occurrences du mot « je » pour

les éviter car l’expression de soi me paraissait

pénible et redondante et presque malsaine

– mais rien n’était plus lyrique que cela –

ainsi continuaient les mots à s’aligner parfois

en prose et parfois en vers et le plus souvent

avec recherche d’aphorisme de formule qui

claque et parfois souvent devenait clinquante

ensuite la nouvelle manière consista à

éviter les abstractions et toutes cette

auto-réflexion du langage elle aussi re

dondante et pénible et presque malsaine

ainsi apparurent les objets et William Carlos

Williams dont le nom claquait sonore et

fenêtres béton voitures fleuve vert cerisier

tout apparaissait en rythme saccadé

dans le temps les mots s’alignaient et je

n’avais pas souci d’être lu ou pas je

croyais qu’on me reconnaîtrait plus tard et

en vérité dans le silence j’avais créé

une œuvre bancale et de peu d’intérêt

dont j’ai presque honte désormais

ainsi le chemin recommençait

il fallait tout reprendre chaque mot chaque son

tout inverser et secouer et renverser encore

tout relire et saccager et empiler frénétique

ment pour recréer et réinverser encore

travailler dans les interstices de la journée

pour la gloire d’une belle image que

peut-être un autre trouverait niaise ou

au contraire trop contournée

demeure

dans le silence

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