Respirations

On inspire, on expire. On croit avoir fait quelque chose. Peut-être est-ce réel, peut-être pas. Comme une maladie (ou comme la santé) qu’on oublie souvent et qu’on s’étonne d’avoir, soudain, dans un moment de réflexion qui ne dure pas longtemps. On inspire, on expire. Cela fait une pause dans la journée. La « méditation en pleine conscience » est devenue à la mode pour deux raisons. Tout d’abord, elle permet aux cadres en entreprises d’éloigner momentanément leur burn-out et leur bullshit job – là est son utilité sociale profonde : faire que ces cadres acceptent docilement de retourner à leurs boulots de merde. Ensuite, il y a une satisfaction personnelle : on n’a absolument rien fait à part respirer, mais on a le sentiment d’avoir fait quelque chose de profond, d’important, voire même de mystique. Si les gens méditaient vraiment « en pleine conscience », ils prendraient surtout conscience d’être des imbéciles. Quelqu’un qui ressort satisfait d’une telle méditation n’a pas assez bien médité. Ou peut-être est-ce une illusion sortie de ma subjectivité, ou de ma relecture actuelle des Minima Moralia d’Adorno : quand je mets ma pensée seule face à elle-même, que j’inspire et que j’expire pour me calmer et réfléchir, j’en arrive toujours à rêvasser sur mes propres incapacités, mes erreurs de jugements, à découvrir où sont mes imperfections, sans trouver les moyens de les corriger. Activité qui m’est très insatisfaisante. L’écriture a au moins le mérite de jeter quelque chose, de pouvoir le soupeser, et de laisser la trace d’une résistance. Comme tous les bavards, je rêve de silence ; comme tous les plumitifs, je rêve d’arriver à ne plus donner mes opinions de dilettante. On a respiré. Cela a au moins fait passer quelques minutes.

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