Que vous dire ? Continuer à parler de politique aurait sans doute suscité l’ennui. Du moins dans une dynamique rhétorique, et non dans une analyse froide et distanciée. Or, cette analyse froide, je ne la ferai qu’après les résultats du 7 juillet, parce que mon degré d’énervement est bien trop grand, et que je craindrais de jeter des épines du côté de mon « bord » ; j’ai bien compris le « on se disputera après le 7 juillet », j’ai fait ma part du travail militant pendant cette période historique. C’était cela, en vérité, la motivation fondamentale : pouvoir dire à mes enfants, « à ce moment-là, j’ai fait cela, je ne suis pas resté les bras ballants à contempler le spectacle depuis le fond de mon fauteuil ». Beaucoup sera à dire sur l’horreur du Rassemblement National, sur la lâcheté du « bloc central », et sur les erreurs monumentales de « mon bord ». En attendant, et je le dis sincèrement, quelques satisfactions : Marine Tondelier, Clémence Guetté ou encore Olivier Faure ont été irréprochables. C’est déjà quelque chose, tout n’est pas mort.
Bref, continuer à parler de politique aura sans doute suscité l’ennui. Pas mieux à proposer dans mon journal : des considérations matérielles innombrables. Aujourd’hui, deux juillet, j’y note ceci : « Mon journal est bien ennuyeux quand je ne fais que me plaindre. Dans d’autres endroits, je cherche des mots, tente de créer deux ou trois impressions. Le journal me permet surtout de mettre à plat quelques éléments matériels, pour, d’une certaine manière, m’en débarrasser. Souvent je ne m’y occupe pas de littérature, mais de thérapeutique. J’essaie de l’expliquer à Anaïs, qui trouve souvent ces pages mornes et tristes, mais c’est une tristesse écrite qui me permet d’être plus joyeux à l’air libre. Depuis quinze ans que j’ai une écriture régulière, ce phénomène de catharsis me poursuit ; j’y ai souvent vu une ambivalence stupide, entre une écriture mélancolique et une attitude joyeuse, alors qu’en vérité il s’agissait de catharsis. D’ailleurs, les livres déprimants me rendent joyeux, pour la même raison. Quand je sors d’un Kertész, d’un Delbo ou d’un Krasznahorkai, je vais mieux. Sans doute ce phénomène explique-t-il pourquoi les hôpitaux psychiatriques proposent des films d’horreur à leurs dépressifs. Le problème, c’est qu’il y a des gens pour prendre l’écriture au sérieux, pour ne pas avoir ce même ressort psychologique : beaucoup sont réellement déprimés par les livres déprimants, ce qui semble logique au premier abord, mais qui pour moi relève du paradoxe. »
Pour le reste : un nouveau refus d’éditeur pour de la poésie. Un nouveau projet, quelque chose sur le lieu, encore, qui pourrait s’intituler Chambres. Pour l’instant, comme d’habitude, je croule sous les références, les petits clins d’œil, les influences : un peu de Kertész, un peu d’Octavio Paz, un peu de Virginia Woolf, avec en sus Habitacles de Jérôme Orsoni. Sans doute n’ai-je pas encore tué le khâgneux en moi ; d’ailleurs, j’étais encore plus khâgneux avant même d’entrer en hypokhâgne ; c’est donc une sorte de malédiction stylistique, probablement assez commune chez les lettrés à prétention artistique. Cependant, il me faut cesser là l’apitoiement car, comme je l’écrivais plus haut dans un autre cahier : « La haine de soi est la pudeur des égocentriques. »