« On se disputera après le 7 juillet… »

Bien. Le pire a été évité. On a « sauvé les meubles ». Le Nouveau Front Populaire arrive en tête, bien qu’avec une majorité très relative. Un soulagement, pas de triomphe. Nous aurons dans ces prochains jours le spectacle qu’offrent habituellement les régimes parlementaires, auquel la France n’est pas habituée : les tractations pour la nomination d’un Premier ministre. En attendant, il y a deux ou trois petites choses qui ont provoqué en moi un certain énervement, ces dernières semaines, ces derniers mois. Le mot d’ordre, dans les groupes militants, a très vite été : « On se disputera après le 7 juillet ! » J’ai respecté cela, parce que l’enjeu historique était trop grand. Demain, avec un groupe politique allant de Raphaël Arnault à François Hollande dans l’hémicycle, éviter les disputes sera sans doute impossible. Aujourd’hui, les deux partis qui gagnent des députés à l’Assemblée sont le Rassemblement national et le Parti socialiste, cela sur les ruines de l’ancienne majorité présidentielle, qui ne doit sa survie qu’au barrage républicain scrupuleusement tenu par ses adversaires de gauche (j’ai moi-même voté hier pour la médiocre macroniste qui nous sert de députée). Si la gauche entièrement réunie ne fait que 190 sièges, c’est que les idées n’infusent pas assez efficacement dans le pays. A cela, on cherchera des responsables : le racisme, bien entendu, qui est structurel chez le Rassemblement national et contre lequel on n’a pas lutté assez puissamment ; l’empire de Vincent Bolloré, qui a structuré la bêtise et la violence dans le champ médiatique ; l’incurie et la lâcheté des macronistes, leurs mesures antisociales, leur pratique autoritaire du pouvoir. A cela, j’aimerais ajouter deux sujets de disputes à gauche, -cela en sachant bien que cela passe après les éléments précédemment cités, mais avec la nécessité de les mettre clairement sur la table.

1° L’antisémitisme et La France insoumise.

C’était quoi cette merde ? C’était quoi David Guiraud qui partage un visuel des « dragons célestes », symbole antisémite depuis plusieurs années, puis se défend en disant que cela vient du fait que sa formation politique s’est faite en regardant des vidéos d’Alain Soral ? C’était quoi Sébastien Delogu qui partage un visuel dans lequel Meyer Habib est associé à une « pizza au four » ? C’était quoi Rima Hassan qui partage les fausses informations sur « l’armée israélienne qui dresse des chiens pour violer des Palestiniens » ? C’était quoi Jean-Luc Mélenchon qui parle d’un « antisémitisme résiduel » en France, malgré toute la réalité de l’antisémitisme aujourd’hui dans ce pays, qui compte encore plus d’actes contre les Juifs que ceux liés à l’islamophobie, alors que celle-ci est déjà un fléau ? Putain mais quelle honte. Là, on ne pourra pas dire que ce sont simplement des questions interprétatives, des déclarations ambiguës surinterprétées par des adversaires malhonnêtes, comme il y en a eu tant d’autres durant cette campagne abjecte, et particulièrement dans les médias fascistoïdes de Vincent Bolloré. Non, là, on a des faits graves, qui n’ont mené à aucune réaction dans le camp insoumis. Alors oui, on a aussi dû s’exprimer contre la menace de génocide qui pesait sur le peuple palestinien, c’était une lutte urgente et nécessaire. Néanmoins, nos chefs doivent savoir garder la tête froide et ne pas perdre toute boussole morale ; sinon, ils doivent laisser la main. Par exemple, on a laissé dire beaucoup de choses sur « l’antisionisme » et le « lobby israélien ». Nous qui aimons tant rappeler que le Rassemblement national est issu d’un parti fondé par des Waffen SS, nous devrions aussi rappeler que les termes « antisionistes » et « lobby israélien » ont été inventés dans les années 70 par ces mêmes gens (sous l’étiquette pseudo-intellectuelle de « Nouvelle droite », Alain de Benoist et consorts) pour remplacer les termes « antisémite » et « complot juif ». D’ailleurs, le programme de LFI comprenant la solution à deux états pour faire solution au conflit israélo-palestinien, ce programme est de fait sioniste, puisqu’il comprend l’existence de l’état d’Israël. Il serait bon d’établir une clarification, car bon nombre de militants n’ont pas l’air au courant. On a beaucoup parlé d’un « antisémitisme conjoncturel » (LFI) face à un « antisémitisme structurel » (RN). Cela va à mon avis plus loin : bon nombre de chefs et de militants sont sincèrement surpris quand on leur dit qu’ils viennent de tenir un propos antisémite, ou que leurs propos concourent à augmenter la pression antisémite déjà énorme dans le pays. Comme nombre de gens objectivement racistes, ils n’ont souvent pas conscience de leur antisémitisme. Je n’appelle à rien du tout, car je ne suis personne ; je pense que chacun devrait méditer cela à tête reposée, pendant des vacances bien méritées. Qu’on prenne le temps, notamment, d’écouter les concernés, à savoir les Juifs : si un grand nombre d’entre eux (et c’est le cas parmi mes amis) considèrent que LFI est antisémite, la question doit être posée sérieusement.

2° Le programme et l’écologie.

La partie du programme du Nouveau Front Populaire consacrée à l’écologie en reste à des banalités. Elle donne un cadre général : arrêt des « grands projets », mégabassines, plan de gestion de l’eau ; puis développement des énergies renouvelables, rénovation des bâtiments, etc., puis dans un troisième temps le développement des transports en commun, la protection de la biodiversité, etc. C’est déjà beaucoup mieux que les autres partis, certes. Il manque néanmoins le point essentiel, c’est-à-dire la politique énergétique et, au cœur de celle-ci, la question du nucléaire. Les partis composant la coalition en ont des visions diamétralement opposés. Comment est-ce qu’on sort du pétrole sans nucléaire ? Est-ce qu’on préfère sortir du nucléaire, au risque d’augmenter énormément nos rejets de CO2 ? Est-ce qu’on décide que le réchauffement climatique est la mère de toutes les batailles, et qu’on garde le nucléaire plus que prévu pour la mener ? Je connais bien le scénario négawatt, qui vise à la sortie des deux à la fois : il comprend des mesures drastiques qui sont, à mon avis, très loin d’un degré quelconque d’acceptabilité pour les Français. Cette campagne a esquivé cette question fondamentale du XXIe siècle.

(Et je ne parle même pas de la grande fracture à gauche sur la question de l’euthanasie. Ecoutez les militants handicapés, vous y verrez autre chose que l’enthousiasme face à l’arrivée d’un « nouveau droit ».)

Aujourd’hui, au sein du Nouveau Front Populaire, les deux partis majeurs sont La France insoumise et le Parti socialiste, à peu près au même niveau, -voire, avec les départs actuels des « frondeurs » de LFI, le rapport de force pourrait être en faveur du PS. Qui peut croire qu’ils s’entendront sur tout ? Sur l’Union européenne, sur les questions géopolitiques, sur le nucléaire ? Même réunis sur les mesures sociales du programme, que je juge absolument nécessaires pour donner un peu d’air à nombre de gens qui sont brutalisés depuis des années par le néolibéralisme (appelez ça néo-management ou troisième âge du capitalisme si vous préférez), comment pourront-ils les faire appliquer avec seulement 190 députés, quand la majorité est à 289 ? Je crois que le temps est à mettre les sujets sur la table, à arrêter de se payer de mots et à assumer que nous sommes désormais dans un régime parlementaire. Beaucoup vont devoir apprendre à discuter, à parlementer. Ce n’est pas gagné.

4 réflexions sur “« On se disputera après le 7 juillet… »

Répondre à Hedwige Annuler la réponse.