Brèves estivales

Un été avec Hokusai (5)

J’eusse aimé, aussi bien sur les réseaux que sur ce blog, pouvoir écrire comme dans mes cahiers, c’est-à-dire de manière foutraque, fragmentaire et expérimentale, mais dès que le moindre passage d’un message est obscur, quelqu’un vient demander une explication, qu’on est bien en peine de donner, puisqu’on a écrit ce qu’on devait écrire, il n’y a pas d’autre texte, – sur les réseaux, y compris WordPress qui est somme toute un réseau, bien qu’avec une visée plus artistique et intellectuelle, on s’efforce donc d’être clair, simple, rhétoriquement convenu, il est difficile d’y tenir une ligne créative.

Les grands artistes devraient se ficher entièrement de ce qui est dit dans le paragraphe ci-dessus. Pour la plupart, ils tracent leur route en se fichant pas mal des réactions, des commentaires. Du moins, à partir du romantisme, est-ce une posture qu’on retrouve régulièrement, y compris par des auteurs qui, en réalité, cultivaient les mondanités, se montraient plus qu’attentifs aux réactions concernant leurs écrits, répondaient avec abondance aux critiques.

Une tactique peut être de supprimer la possibilité de commentaires sous ses articles, ou de ne jamais les lire. Je dois avouer que cela me manquerait. Une première raison est que, quand j’écris sur tel ou tel sujet, j’apprécie quand un internaute vient m’expliquer que ce que j’ai dit est inexact, et me propose une source pour affiner ma réflexion. Pour beaucoup de gens, c’est sans doute une intervention désagréable (je ne prétendrai pas que me faire reprendre me fait plaisir en tant que tel, il y a toujours un moment de surprise négatif, mais vis-à-vis de moi-même et non de l’internaute), mais en vérité c’est ainsi qu’on progresse. Cela vaut aussi pour les commentaires négatifs : tel passage est mal écrit, telle idée est stupide, ta posture était mauvaise sur tel événement. Cela force à réfléchir. Quelquefois apparaissent des commentaires positifs, qui ont quant à eux l’avantage de donner envie de continuer, ce qui n’est pas peu de chose, mais peut entraîner une autosatisfaction sclérosante.

Une critique qui m’a été faite, particulièrement concernant les quelques textes que j’ai pu envoyer à éditeur ou à revues, c’est l’absence d’unité, de « projet ». Ce blog en fait état : cycles courts, rapidement abandonnés, passage d’une idée à l’autre, d’une forme à l’autre, et surtout une autocritique permanente : dans tel texte, je vais revenir et critiquer telle idée ou telle forme présente dans tel texte précédent. Deux possibilités de lecture existent dans mon esprit vis-à-vis de ces critiques : 1° Ils ont tout à fait raison. Mes textes sont de bric et de broc, circonstanciels, sans portée littéraire. 2° L’idée même d’un « projet » m’est haïssable ; les « projets » me paraissent la source même de la crise générale que vit actuellement l’humanité ; avoir un projet peut éventuellement conduire à un chef-d’œuvre, mais la plupart du temps à la sclérose.

J’y songe en mettant la dernière main sur un livre de poèmes que j’essaie de terminer depuis quelque temps : ce qui m’empêche de la finir, c’est sa pluralité, ses étrangetés empilées les unes sur les autres, ses ruptures formelles qui sont le leitmotiv même du recueil. Cela me paraît absolument impubliable. Je l’enverrai quand même, -« sur un malentendu »…

J’y songe d’autant plus en lisant Pertes et Profits de Leontia Flynn, que j’ai chroniqué récemment. Anaïs me dit : « C’est exactement ce que tu devrais faire : elle a tes idées, tes formes, mais elle les a réunies sous le thème de l’appartement, des lieux où elle a vécu, ce qui donne une unité d’ensemble. » Oui, c’est exactement ça. Des idées de thèmes unificateurs, j’en ai plusieurs. Mais cela signifie tout reprendre (une bonne trentaine de cahiers, désormais), tout recommencer. Ainsi va la vie.

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Je n’ai pas parlé d’Hokusai depuis longtemps. Cela aussi, c’était une tentative de projet, quelque chose pour donner un fil conducteur pour des réflexions. Néanmoins sans doute était-ce trop de l’ordre du commentaire, de l’analyse pseudo-savante, tout en se revendiquant de la rêverie. La forme manquait. Il y eut aussi cette absurdité matérielle : sous un tweet qui avait « percé », j’ai placé l’article « Regarder une estampe », qui a donc explosé le record de vues sur les deux années de ce blog. De plus, je me suis finalement plus intéressé à Hiroshige qu’à Hokusai ces derniers temps ; je crois que je préfère Hiroshige. Néanmoins je place ici la 7e estampe des Trente-six vues sur le mont Fuji, celle qui suit la dernière analysée.

Ici, j’eusse aimé n’en rien dire, mais plutôt demander aux lecteurs ce qu’ils voient et comprennent de cette estampe. Ne pas continuer de parler, mais laisser les commentaires s’ouvrir et voir, selon la forme que chacun voudrait donner, ce que vous en pensez. Ou alors ne dites rien, ce qui est peut-être la meilleure manière de regarder une estampe.

4 réflexions sur “Brèves estivales

  1. Il faut savoir être inclassable, original, pour conserver ce qui fait ‘soi’.
    J’apprécie cela car cela oblige à réfléchir, tant sur les écrits, les peintures et/ou autres médias utilisés par la personne dont on suit les publications, que sur nos propres publications.
    Et faire réfléchir est salutaire…

    Pour ce tableau de Hokusai, pêcheurs et paysan se rencontrant, discutant même (?), avec toujours le Mont Fuji (calme et posé au loin, « derrière » des pylônes de bois (temple ? Portes ? Renfort pour le chemin au bord des eaux ?).

    Tentez, osez l’envoi pour une publication.
    Comme vous dites, sur un ‘malentendu’, sait-on jamais…

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