Trivialité (3) : se méfier de la poésie

dans la poésie contemporaine gît
une rupture fondamentale dans la
deixis (dit comme cela on pourrait
croire que c’est compliqué mais
non) c’est-à-dire : est-ce que je
place mon poème dans un lieu ou
non est-ce que je fais un effet de
réel ou non vais-je placer un mot
de type McDonald’s ou boulangerie
dire « rue » ou « rue Saint-Jacques »
et ainsi est-ce que j’embraye sur
un poème éthéré (post-eluardien ou
plus philosophique) ou un poème où
l’ancrage « réaliste » permettra ensuite
une scène ou une pensée
autrefois j’étais du premier genre
maintenant plutôt du second
on m’a encouragé en ce sens
dans les maigres échanges que
j’ai pu avoir sur ma poésie
(car j’ai beaucoup plus discuté
de celle des autres que de la mie
nne) ainsi me voici ces jours-ci
dans les trivialités : pensés banales
rêves habituels regards sur le Grand
Colombier lectures flux de pensées
retours au plus simple en me
méfiant des mots de mes pensées
refusant momentanément de
donner mon avis sur le Premier
sinistre ou les viols de Mazan
souvent je me liquidais moi
même en prose mais main
tenant le vers prétendu libre
ou prose coupée ou texte (dis
tinctions khâgneuses) me libère
ou ne me libère pas mais me con
traint à être un peu moins con
à côté j’écris des décasyllabes de
mirliton dans des cahiers mais ai
trop honte encore de les présenter
un jour peut-être
j’écrirai vraiment

5 réflexions sur “Trivialité (3) : se méfier de la poésie

  1. Je ne crois pas qu’il y ait une posture opposée à une autre.
    L’écriture très ancrée dans un réel reconnaissable a été très à la mode ( Les Ronces par exemple, et cela ne me fait pas vibrer..) et glisse sensiblement vers la seule attitude acceptable: Etre soi.
    En tout cas je suis sensible à votre humour non-dénué de cynisme et à votre écriture.

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    1. Chère Barbara,
      Je ne fais en tout cas aucune hiérarchie entre les deux manières : chacune m’a été utile en temps voulu. À partir de mes seize ans, j’ai beaucoup écrit de la poésie que j’appelle ici post-éluardienne, entre autres sous l’influence de Jean-Pierre Siméon ; cela m’a éveillé aux mots, à des pensées plus élevées que celles que j’avais jusque-là, et cela m’a permis de mieux vivre. J’apprécie toujours lire des poèmes de cette manière, en particulier les vôtres, bien que j’écrive désormais autrement ; mais sans opposer ces postures, elles s’additionnent très bien.

      Les poètes que je lis beaucoup en ce moment sont parfois bien moins charitables, mais ils ont souvent connu la fournaise des années 1970, pendant laquelle personne n’avait de charité pour personne dans le champ poétique, qui fut alors un vaste champ de bataille, puis de ruines. Mes amis préfèrent mes poèmes « ancrés », donc j’ai creusé là-dedans ; ils me permettent aujourd’hui de creuser les lieux où j’habite, de poser une réflexion sur moi-même de manière nouvelle. Je ne voudrais en aucun cas formuler une quelconque hiérarchie.

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