Parmi les livres achetés à l’excellente librairie du musée des Beaux-Arts de Lyon, deux livres de théorie esthétique. Je lis actuellement Vies des formes d’Henri Focillon. Que me manque-t-il ici ? Est-ce moi qui suis trop peu attentif, comme souvent dans les lectures philosophiques ? Ou est-ce que l’auteur ne sait vraiment pas où il va, et débouche sur une rêverie vague ? Cela me fait le même effet que L’écrivain et son double de Gaëtan Picon, acheté autour de Noël et jamais terminé : deux livres dont les débuts offrent beaucoup d’ambition et d’espoir, puis une plongée dans des marais. Cela serait meilleur en affirmant dès l’entrée que l’ensemble est une rêverie, comme le fait Malraux dans Le Musée imaginaire : dans le domaine esthétique, le plus vague et le moins solide de la philosophie, autant assumer le mouvement et la vague.
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Parmi les grands auteurs d’estampes, j’ai de plus en plus d’affection pour Hasui Kawase. On le connait moins en France, parce qu’il n’a pas la prééminence de l’ancienneté : il n’a pas, comme Hokusai et Hiroshige, été travaillé en profondeur par des peintres européens, Van Gogh en tête. Il a continué l’art de l’estampe au coeur du XXe siècle, mêlant les thèmes traditionnels des saisons (avec une prédilection pour les paysages enneigés) et les visions modernes (l’architecture du Tokyo moderne).

Ses paysages sous la neige me touchent en ce moment où l’hiver s’éloigne. Il a quelque peu neigé sur le Grand Colombier et sur les monts du Jura. Ici, c’est le Mont Fuji sous la neige, mais c’est le bleu qui domine : bleu du ciel, bleu du fleuve. Le blanc le réhausse, lui donne sa profondeur.

J’aime les représentations de ponts. Pourquoi ? Sait-on pourquoi on apprécie tel thème plutôt qu’un autre ? Il y en a beaucoup chez Hokusai, j’ai eu l’occasion d’en décrire l’été dernier. Ici, c’est un pont moderne, au moment de la modernisation urbaine du Japon, dans les années 1920. Le thème du mouvement inhérent au pont est redoublé par les bateaux au second plan et les bâtiments modernes à l’arrière-plan. Triple mouvement humain, auquel s’ajoute le mouvement de l’eau. Hasui Kawase, dans une œuvre résolument contemporaine, rejoint l’origine de l’ukiyo-e : le monde flotte, le monde se meut et va disparaître.
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A-t-on réellement besoin de théorie esthétique ? Sans doute pas. La plupart des essayistes sur le sujet plongent dans les apories. Ainsi Gaëtan Picon : de toute façon, l’œuvre s’impose. La pensée rationnelle court après son propre mirage.
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Les jonquilles apparaissent.