Poésie du dimanche (19) : Hervé Micolet, « Les Cavales, I ».

Je voulais commencer ce cycle depuis déjà un bon moment. J’achète le premier tome après que le deuxième est déjà publié, aussi dois-je moi aussi cavaler pour rattraper mon retard. Deux éléments majeurs m’amènent à cette lecture : bien sûr l’ambition de l’ensemble, avec son rapport concentré et profond à la tradition et aux moyens de la remotiver ; et puis, plus matériellement, la recommandation de Pierre Vinclair.

Ma première impression de lecteur, peut-être étrange vue de l’extérieur, est celle d’une concentration proche de celle qu’on trouve par exemple chez Hilda Doolittle. Sans doute est-ce lié à plusieurs raisons : l’absence de narration véritable, de scène déterminée, mais surtout l’épaisseur culturelle, les références explicites ou souterraines, qui à la fois nécessitent une attention soutenue et font errer dans dans la mémoire poétique.

Les lignes qui traversent ce livre sont très nombreuses, mais on peut en distinguer deux centrales. Tout d’abord, le thème de la mort, la méditation de la mort, tantôt philosophique, tantôt matérielle (les tombes, le passage sur l’incinération), tantôt plus personnelle (la deuxième partie et le deuil de la mère). Les livres de deuil ou issus du deuil forment presque un genre complet dans la poésie contemporaine, ou alors c’est que, par un hasard objectif, je me retrouve systématiquement avec des livres traitant du deuil. Est néanmoins très rassurant et réjouissant le fait que chacun de ces livres sont très différents, et d’une grande richesse dans leurs genres divers. Une deuxième ligne est la remotivation des figures féminines (Vénus, Marie, les nymphes, etc.) qui viennent se mêler à la figure maternelle. L’Hymne initial à Venus se transforme tantôt en élégie, tantôt en épopée de la mélancolie.

Chantez comme les antiques Suppliantes,

comme les Pleureuses des morts ou Jérémie

solitaire, le cri du cœur

et du bon sens : Oh yoyoï,

car il y a de quoi dans la plupart des temps

du monde, et plus loin c’est se recommander

au tout premier atome ainsi qu’il fut,

vierge et dépêché, Rien et Tout

ainsi que du soufre ou des terres rouges

remontent jusqu’au repaire terrestre.

Où la plainte commence, c’est qu’on entre

dans quelque zone entre deux, où commence

ce qui est long, la lamentation

de la vie. […] (p. 102)

Il y a les références qu’on maîtrise, qu’on est content de revoir : Scève, Sponde, la fin’amor, et bien d’autres. Il y a ce qui nous échappe (je découvre la référence à Parménide dans l’article que Marc Wetzel consacre au livre), il y a ce qu’on perçoit comme référence mais qu’on n’assimile pas (beaucoup de références en langue anglaise m’échappent). Tantôt la joie du retour au territoire apprécié, tantôt l’attrait du territoire exotique sous le brouillard. Marc Wetzel parle à la fin de son article d’une « globale inaccessibilité », striée « d’éclairs d’un génie franc et fraternel », et c’est bien ce qu’on retire d’une première lecture ; mais, en prenant le temps d’aller dans la matière du texte, il y a finalement plus d’éclats que d’obscurités. Certes une poésie exigeante, comme tout ce qui est issu des longues méditations entamées au début du XXe siècle, mais une méditation sur l’être et la finitude finalement assez généreuse.

A la fin de sa vie, Yves Bonnefoy appelait à l’écriture de longs poèmes. Il en donna l’exemple dans plusieurs textes repris dans L’Heure présente, recueil qui m’a donné peu de satisfaction, alors que j’étais encore un jeune homme : Bonnefoy a bien plutôt été un maître de la forme courte, d’ailleurs à cette époque revint-il au sonnet. Hervé Micolet poursuit une méditation sur la mort par d’autres moyens, avec une poétique et des références très différentes de celle de Bonnefoy bien sûr, mais il me semble qu’il exemplifie à merveille ce que peuvent être de longs poèmes dans le cadre français contemporain. De même qu’il y a deux mois en lisant le deuxième tome des Encadrements de Pierre Vinclair, on est heureux de voir les poètes contemporains manifester de grandes ambitions poétiques, et plus encore heureux de les voir être à la hauteur de leurs ambitions.

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