Information en continu

Quand on regarde une chaîne d’information en continu avec un oeil distant, on est d’abord frappé par la répétition : titres qui reviennent, informations redites par les présentateurs, analyses répétitives des « experts » qui défilent. Ensuite frappe l’aspect disjoint des éléments présents : en termes de discours, ellipses, paralipses et anacoluthes y sont les figures de style dominantes, -ruptures, fragments, grands écarts, transitions abruptes. Rarement approche-t-on du discours construit, posé, développé, établissant des connexions entre les faits, les événements. Sans doute le fil des réseaux sociaux constitue-t-il un semblable phrasé disjoint, avec néanmoins une absence de contrôle, à la télévision, de ce qu’on peut suivre ou non, bloquer ou non : les seules possibilités sont de couper ou zapper, on ne peut pas reconstruire le fil d’actualité. Mais aussi bien à la télévision que sur les réseaux sociaux, il y a bel et bien des constructions idéologiques sous-jacentes. D’abord, l’argent : les réseaux comme les chaînes doivent rentrer dans leurs frais, voire payer des actionnaires. Il est donc nécessaire de flatter le public, proposer des contenus qui tapent à l’oeil, parfois en choquant et provocant, quitte à transiger sur la vérité. (C’est là, soit dit en passant, l’origine de la schizophrénie que Deleuze et Guattari voient dans le capitalisme : on nous promet la liberté totale et on nous enjoint à la vivre, mais cette liberté totale passe après le gain financier, tout est soumis in fine au capital, -il y a donc injonction contradictoire, une folie propre au système lui-même, et les fous ont été rendus fous par ce système. Je schématise.) Ensuite, on a des structures idéologiques plus nettes, comme celles de Vincent Bolloré et Elon Musk : le comité de rédaction ou l’algorithme sélectionnent les sujets, les agencent pour que tel ou tel événement nous paraisse le plus important, pour que telle ou telle idée nous paraisse plus vraie.

Je songeais à cela en repensant à une phrase d’Olivier Besancenot, prononcée lors d’un discours entre les deux tours des dernières législatives. Ce n’est pas le lieu de dire si j’apprécie ou non Olivier Besancenot, faisons comme si sa déclaration était dépolitisée. Il disait : « Soyez des contre-chaînes d’information en continu. » L’idée développée était la suivante : pour que politique réelle il y ait, il faut que chaque citoyen tienne une parole politique, prenne la parole pour donner telle ou telle idée, rappeler tel ou tel événement, proposer un discours qui déjoue les logiques financières et réactionnaires. (Besancenot s’adressait aux militants, mais le système démocratique fait que chaque citoyen est nécessairement plus ou moins un militant, même contre son gré.) Sous-jacente aussi se jouait l’idée de ne pas se laisser réduire au spectacle, c’est-à-dire au fait que la politique soit une affaire de représentants et d' »experts », mais de faire en sorte que la politique soit une affaire de citoyens, c’est-à-dire de tous. La politique commence quand on éteint les émissions de politiciens.

Une difficulté demeure alors de déjouer les structures d’abaissement et d’avilissement qui nous meuvent également nous-mêmes. Une autre difficulté est celle des choix de discours : taper toujours sur le même clou, au risque de devenir aussi répétitifs que les chaînes d’information en continu ? C’est le défaut de nombreux militants en ligne. Faire le choix de la profusion et de la diversité, au risque de noyer les propos qu’on juge essentiels ? Choisir de tout politiser, ou s’offrir des sorties de plein air hors du politique ? Spécialisation ou dilettantisme ? Besancenot le dit à un autre moment de son intervention : « on milite avec nos doutes ». Cela pourrait être une porte de sortie : dire ce que l’on juge devoir être dit, et rappeler un certain nombre d’incertitudes. On aura évité le dogmatisme. On sera sans doute moins efficace, -mais le monde crève d’efficacité. Au moins, on aura proposé un discours sur le monde, et non une accumulation de fragments destinés à un projet financier et/ou réactionnaire. C’est déjà quelque chose.

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