Ce journal d’avancées commence désormais régulièrement, comme par une pente naturelle, avec des apostilles sur la chronique du dimanche. Structure bicéphale qui me permet d’avancer clairement, ce qui était le but, mais fait que, me relisant, j’ai l’impression de ne travailler intellectuellement et artistiquement que sur ces chroniques, ce qui n’était pas le but. Aussi, ces avancées me paraissent relatives.
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Écrire sur Les Œuvres liquides de Pierre Vinclair était à la fois ardu et facile. Ardu parce qu’il fallait trouver, dans la semaine, le temps de lire et d’écrire. C’était au milieu de la correction des brevets blancs. Heureusement, un ciel radieux se déclara le samedi et, tandis que ma fille faisait son cours hebdomadaire d’équitation, je m’installai sur une table disposée sur le pré attenant au centre équestre, terminai le livre et écrivis la chronique dans la foulée. Le livre était commencé du lundi et, en conduisant ou entre deux cours, j’avais déjà réfléchi à ce que j’écrirais ; aussi, la chronique est-elle sortie d’une seule coulée. Pierre dit l’avoir appréciée, et c’est déjà l’article le plus lu de cette année sur le site. Tenir un propos digne d’intérêt était en effet ici plus facile que d’habitude : ce n’était pas mon premier livre de Vinclair, dont j’ai déjà abondamment parlé sur ce blog, -je connaissais son œuvre et lis son propre blog attentivement depuis deux ans. Aussi, j’entre dans l’œuvre en percevant tout de suite les enjeux, ce qui était beaucoup plus difficile durant les autres chroniques.
-Cela m’a amené à comprendre pourquoi la chronique « Terrain vague » de Christian Rosset est si intéressante : Rosset suit les auteurs qu’il traite depuis des décennies. J’ai songé que mes chroniques seraient bien meilleures consacrées à des artistes que je maîtrise mieux. Mais, pour les maîtriser mieux, il faut passer par la phase de découverte. Aussi, hier soir, je me suis dit : « Je serai donc, peut-être, un bon critique dans une dizaine d’années. »
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La correction des brevets blancs est terminée. Difficile évidemment de tirer quoi que ce soit d’un paquet, lui-même partie d’une promotion spécifique, dans un collège spécifique. Les questions statistiques dans l’Éducation nationale me passionnent, aussi je sais bien qu’une impression d’enseignant est sujette à caution. Néanmoins, ce qui m’a frappé, encore plus que d’habitude, c’est l’écart abyssal entre « bonnes copies » et « mauvaises copies ». En termes de niveau attendu selon l’âge, on doit être sur des écarts d’au moins trois ou quatre ans entre élèves de même âge : certains ont déjà les compétences attendues en fin de seconde, d’autres n’ont pas acquis celles de début de cycle 4 (5e). Le ressenti des collègues d’autres matières semble être le même : non pas une « école à deux vitesses », mais à trois ou quatre ou six vitesses. Je n’en tire aucune conséquence, j’ai de toute façon trop mal à la tête pour cela. Cela explique seulement pourquoi, à partir de la 4e et jusqu’en fin de 3e, il est si difficile de faire cours : nous avons face à nous des élèves radicalement différents les uns des autres. Le contenu proposé sera ou trop facile pour les uns, ou trop difficile pour les autres. Pour différencier efficacement, il faudrait libérer un grand nombre d’heures ; nous le faisons en bricolant, et en prenant sur notre temps libre. Les implications philosophiques sont énormes : si on différencie, on n’est plus exactement dans l’égalité. On prétend que c’est pour l’équité, mais en vérité le résultat est de tout autre : c’est celui des groupes de niveaux, avec lesquels l’écart se creuse de plus en plus, quand on fait du « plus facile » pour les élèves en difficulté. (Les textes disent qu’il ne faut pas faire ça, qu’il faut « faire autrement pour arriver au même résultat » ; mais c’est de la pudeur rhétorique : le groupe « fort » trace sa route loin du groupe avec qui on vient réexpliquer.) Bref, je m’égare, tout ceci est bien confus. Comme le ministère est occupé à trouver des artifices rhétoriques pour masquer l’absence d’attrait du métier d’enseignant et le naufrage de la profession, comme les enseignants sont poussés, pour nombre d’entre eux, à tout mettre sur les carences des parents, et comme les parents sont occupés à défendre becs et ongles leurs enfants, quitte à agresser l’enseignant, tout ceci demeurera bien confus pendant un moment.
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Au moment où je commençais ce journal, je me disais que je venais justement pour un peu de clarté, pour me détendre un peu dans les mots, retrouver une langue plus réjouissante que celle des médias et des couloirs de collège. Mais la langue me tombe des mains. Je sens partout mes propres faiblesses, à chaque détour de phrase. Je déteste corriger, mettre des notes, et plus encore donner des ordres, faire travailler. Je fais cours comme j’écris : avec mauvaise conscience. Comment avoir bonne conscience dans ce monde-ci ? Seuls les pires salauds ont la conscience tranquille.
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Il n’y aura pas de chronique poétique ce dimanche, car je suis épuisé.
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Dans la foulée de la lecture du livre de Pierre Vinclair, j’ai commencé une série de poèmes de quatorze vers. Ce ne sont pas des sonnets. J’avais envie d’écrire : « ce sont des anti-sonnets ». Mais la majorité des sonnets contemporains ne sont-ils pas des anti-sonnets ? Nous écrivons tous contre le sonnet. Tout contre. Les poèmes rendent bien, c’est suffisamment rare que je sois content d’un poème pour que je le signale. Je ne suis pas certain de produire de quoi faire un livre complet, -mais pourquoi pas une section, et un livre avec une section de dizains à côté, puis une section d’autre chose ? Ce serait une ouverture.
Décidément, les terrains d’équitation sont sources d’inspiration…
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