Exercices de disparition (4)

Les définitions de la poésie sont si nombreuses que, de même qu’il y a autant d’anarchies qu’il y a d’anarchistes (Gustav Landauer), il y a autant de poésies qu’il y a de poètes. Chacun redéfinit ses principes, ses concepts, son rythme ou sa prétention d’absence de rythme, sa poétique (même sous forme d’anti-poétique), ses apparitions rhétoriques dans le monde social pour, tout de même, se justifier devant la Cité d’écrire de la poésie (depuis Platon, cela n’a rien d’évident). Ici, on serait tenté de définir la poésie comme disparition derrière la langue. Yves Bonnefoy dirait « derrière la Parole », mais l’époque … Continuer de lire Exercices de disparition (4)

Exercices de disparition (2)

On peut disparaître derrière le nombre, ou une forme qui évoque un nombre : prose de 1000 signes (Pierre Vinclair), prose de 555 signes (Dominique Quélen, -c’est Pierre qui m’indique ce nombre, pour le livre Matière, -j’ai fait erreur dans ma précédente critique), ou, ici, prose d’une page de traitement de texte tout pile, en Arial 12. Très peu d’attrait pour la police Arial, mais comme c’est une des moins moches aisément lisibles pour dyslexiques, et qu’aucune classe ne compte aucun dyslexique, je m’y suis habitué. La forme est une forme de disparition. La technique aussi, je pense ici d’abord à … Continuer de lire Exercices de disparition (2)

Exercices de disparition (1)

Le flot de paroles est incessant. Le flot de pensées est incessant. Le flot d’images, de commentaires, d’informations est incessant. Il y a bien sûr la tentation de tout abandonner. Beaucoup le font. Ils ne le disent pas, ils le font. C’est un acte puéril que de partir en claquant la porte. « J’en ai marre, je me barre de tous ces réseaux ! » La plupart des gens ont disparu des radars sans avoir rien dit. On les a oubliés. On se les rappelle parfois, au détour d’un texte et d’une association d’idées. « Tiens, qu’est devenu ce blog ? Qu’est devenu cet internaute ? » … Continuer de lire Exercices de disparition (1)

Le regard des autres

Toujours ce problème du regard des autres, tu te regardes et t’imagines que d’autres te regardent, tu cherches leurs regards mais ils ne te regardent pas vraiment, ou pas comme il faut, et tu voudrais faire de la pédagogie pour expliquer comment il faut te regarder, mais déjà tu es dans des justifications, tout en étant injustifiable car cette position est très narcissique, tu connais pourtant la position qu’il faut donner l’impression de tenir, à savoir n’en avoir rien à faire du regard des autres, tracer sa route sans se soucier, la caravane passe et les chiens aboient, ce genre … Continuer de lire Le regard des autres

Ouvrir février

Dans tous les sens (5) Diogène Laërce attribue à Thalès l’organisation de l’année en 365 jours et en quatre saisons. Que faire de cette information ? ** De fil en aiguille, je découvre que Thalès n’est pas le découvreur du théorème qui porte son nom, ni Pythagore du sien. La première formulation écrite se trouve à chaque fois dans les Éléments d’Euclide, mais la découverte et l’utilisation se perdent dans les centaines d’années précédentes : Égypte, Babylone, Mésopotamie. Que faire de ces informations ? ** Il fait gris, puis bleu, puis gris. Je clos Un Peuple de Stéphane Bouquet. J’en … Continuer de lire Ouvrir février

Écouter les silences

Dans tous les sens (4) Être à la hauteur des événements : c’est cela que devrait viser le travail intellectuel. Dans un passage de Dialogues, Deleuze le voit comme un enseignement des stoïciens, qu’il reprend pour lui-même : « être digne de ce qui arrive ». Citons la phrase complète, plus complexe : « Entre les cris de la douleur physique et les chants de la souffrance métaphysique, comment tracer son mince chemin stoïcien, qui consiste à être digne de ce qui arrive, à dégager quelque chose de gai et d’amoureux dans ce qui arrive ? » Un commentaire de cette vaste question prendrait … Continuer de lire Écouter les silences

Dans tous les sens (3)

Dès qu’on met réellement le nez dans un domaine, l’immensité s’étend. Entrant véritablement dans le paysage de la poésie contemporaine française (c’est-à-dire, pourrait-on penser de l’extérieur, quelque chose « d’un peu niche », comme on dit sur les réseaux), je me trouve déjà assailli par les milliers de livres. Je le savais, mais désormais je l’expérimente. Ce que je voudrais lire est évidemment bien au-delà de ce que je pourrai lire. Un livre de poésie contemporaine chroniqué par semaine, cela fait un peu plus de cinquante par an si tout va bien, c’est-à-dire pas grand-chose au regard d’un production vaste et de … Continuer de lire Dans tous les sens (3)

Dans tous les sens (2)

Deleuze nous apprend qu’on peut lire la philosophie comme un roman, dont les personnages seraient les concepts. J’ai toujours lu ainsi la philosophie, avant même de lire Deleuze, et c’est pourquoi j’ai été scolairement très mauvais en philosophie. Cette idée récente d’une philosophie comme roman (Deleuze), ou d’une philosophie comme poésie (Nietzsche), m’a infusé dans le mauvais sens : je n’écrivais ni roman ni poésie, seulement un gloubi-boulga où des concepts mal saisis s’étalaient partout. Les avant-gardes avaient fait exploser les genres et les rythmes ; je n’avais plus rien à faire exploser ; j’étais explosé, sans talent, seulement par … Continuer de lire Dans tous les sens (2)

Une balade

Une de mes activités favorites est la balade en zone artisanale. Je ne le fais jamais de moi-même, seulement à l’occasion. « Occasion » signifie : quand la voiture est au garage ou en contrôle technique. Comme j’ai beaucoup déménagé, j’ai vu des zones dans divers « territoires », ainsi que le langage administratif les appelle désormais. La plus mémorable fut sans doute celle de Combs-la-Ville, après qu’une Clio déglinguée m’eut laché sur le périphérique parisien. Mémorable parce qu’interminable jusqu’à l’absurde, et parce que je faisais un périple à pied après un périple en RER pour m’y rendre, dans un état de tension pénible … Continuer de lire Une balade

Lectures croisées

Comme la plupart des textes religieux, à vrai dire comme bon nombre de textes antiques, la Bible s’approche comme un labyrinthe. Plus on lit ces textes, plus on saisit ce qu’on ne saisit pas. On a eu l’occasion de dire des dizaines de fois ces dernières années que les fanatiques ne lisaient pas, il y a néanmoins plus subtils : certains lisent, mais avec leur idéologie préétablie, puis aplatissent le texte à partir de cette idéologie, y trouvent toutes sortes de prétextes et de torsions pour que le texte leur soit une preuve. Le texte religieux, c’est le boss final … Continuer de lire Lectures croisées