Horreur cosmique

Dans une ruche, quand la reine est morte, de nombreuses larves reçoivent de la gelée royale. La première larve devenue abeille massacre toutes les larves ayant reçu cette gelée ; elle est alors la nouvelle reine. Je pense à cela à chaque fois qu’on me parle de « vivre selon la nature ».


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Il est courant de s’extasier des belles photographies prises par le télescope James Webb. Certaines ont certes une véritable portée esthétique. Mais elles nous rappellent aussi sans cesse notre statut de larves à l’échelle de l’univers, et même de poussières nanométriques.

Pour pallier cette forme de désespoir qu’on appelle « horreur cosmique », deux issues se proposent. Tout d’abord, hausser le statut des larves en ne leur donnant plus de valeur négative. C’est une hypothèse que je dirais spinoziste, au sens où il faut s’habituer à ne pas juger, se moquer, pleurer, mais comprendre. L’anecdote racontant que Spinoza observait avec fascination les combats d’araignée explique de manière amusante cette issue. La deuxième issue consiste à une position de l’existence humaine hors de l’espace scientifique. C’est une issue qu’on peut tirer du texte génial de Husserl qui s’intitule La Terre ne se meut pas. (Son problème étant bien sûr philosophique, c’est moi qui le déplace vers une conséquence psychologique ; il hausserait vraisemblablement les sourcils en lisant cette conséquence, car ce n’est pas son but ni son problème).

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Dans la dernière période de l’oeuvre de Lovecraft naît cette idée : l’être humain, à l’échelle de l’univers, peut être comparé à la vermine qui se pose sur certains recoins de nos caves. Tant qu’on ne les remarque pas, on les laisse là, ça n’a pas d’importance. Le souci, c’est qu’avec les progrès des sciences et des techniques, on va se faire remarquer. C’est en allant dans les pôles (Les Montagnes hallucinées) ou les déserts (Dans l’abîme du temps), ou en envoyant des messages dans l’espace (ça, c’est Liu Cixin dans Le Problème à trois corps), qu’on va signaler notre présence. Or, s’il y a d’autres êtres dans l’univers (comme on est en littérature, il y en a), ils seront soit pires que nous, soit comme nous ; dans tous les cas, on est foutus. Lovecraft imagine des êtres non pas sans aucune conscience, bien qu’ils soient toujours monstrueux, mais dans une autre sphère de conscience, où nous ne sommes rien, ou pas grand-chose. En aspergeant d’insecticide un coin de notre cave, les plus sensibles d’entre nous ressentent une pointe de tristesse ; mais on le fait quand même, ou on le fait faire à d’autres.

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La musique des sphères a été remplacée par les pulsars. Dans tous les cas, c’est une marche funèbre.

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