Le long week-end de mai fut essentiellement consacré à regarder paisiblement des arbres et à jouer avec mes filles. Cela n’a l’air de rien, mais trouver des jours d’apaisement est une victoire difficile, une sorte de trésor de guerre pris à l’époque. Mon daimon m’oblige à me rappeler que j’adore les moments à la campagne depuis que j’habite en ville, alors que j’adorais retourner en ville quand j’habitais à la campagne, mais tant pis, je ne vais pas bouder mon plaisir sous prétexte que d’autres plaisirs ont existé. J’ai lu, aussi, comme toujours. La Duchesse de Langeais de Balzac, petit roman que je n’ai pas du tout aimé : commençant par une nouvelle romantique sur une île espagnole, qui se suffirait à elle-même, poursuivie par des réflexions historiques assez peu profondes sur les causes de la révolution de 1830, continuée par l’histoire centrale, cet « amour impossible » construit autour d’une scène de séquestration qui m’a plongé dans la gêne la plus complète, et terminé par un retour romantique en Espagne, avec une toute fin navrante, dont on aimerait qu’elle fût ironique, mais on en doute. Je vais ensuite sur SensCritique et constate que beaucoup de personnes dont je respecte les avis ont adoré ce roman. J’ai donc un moment de réflexion : quelles raisons ai-je eu de ne pas l’aimer ? Ne suis-je pas dans l’erreur ? Plusieurs hypothèses s’offrent à moi quant à cette singularité de lecture :
- J’ai lu La Duchesse de Langeais après avoir lu trop d’autres Balzac. Je ne suis plus surpris par son style, ses thèmes. J’arrive dans cette lecture en ayant apprécié beaucoup de ses livres, et celui-ci souffre de la comparaison. D’autres qui l’auraient lu parmi les premiers l’auraient plus apprécié par son aspect de nouveauté personnelle.
- Je suis rétif au Balzac sentimental. (J’allais dire « romantique », mais La Peau de Chagrin est romantique jusqu’au bout des ongles, et je le compte parmi mes favoris.) Le Lys dans la vallée m’a entraîné dans un profond ennui.
- Je lis Balzac après #MeToo, et toutes les réflexions di narrateur sur la femme qui a besoin d’un homme violent, renforcé par le fait que la duchesse finit par tomber amoureuse de Montriveau quand celui-ci la séquestre, m’ont nécessairement fait hausser les sourcils. (On lit avec son époque, qu’on le veuille ou non.)
- Je suis tout bonnement passé à côté du texte, de sa profondeur ; je suis dans l’erreur et je lis mal.
La journée du 13 mai a été harassante. La semaine promet d’être difficile, avec son cortège de réunions, de cours et d’activités diverses. Ce n’est pourtant que la routine du travail, que connaissent une partie substantielle des habitants du monde, et encore fais-je partie des privilégiés. Je me pose en fin de journée, et voulais parler d’une Nature morte en trompe l’oeil de Pierre Guillaume Cossard, vue il y a quelques semaines au musée des Beaux-arts de Strasbourg, mais il m’a été impossible de la trouver en cherchant sur internet. Elle restera donc dans mon souvenir et sur une photographie floue de mon téléphone. J’en cherche donc une autre pour ouvrir cette rêverie, et tombe sur celle-ci, attribuée à Alexandre Coosemans :

Les natures mortes m’apaisent. Celle-ci est relativement traditionnelle, avec les passages obligés que sont le travail du verre (peindre la transparence est une gageure qui montre la valeur technique du peintre) et des différentes teintes de raison, avec le jeu de lumière sur leur peau. L’élément singulier est peut-être le fond noir profond, et encore en ai-je vu sur d’autres tableaux de ce genre. Non, tout est à sa place sans être symétrique, figé tout en restant plein de vitalité, coloré sur fond noir : ambivalent comme tout ce qui vit, c’est-à-dire tout ce qui meurt.
Je n’aime pas Balzac (avec tout mon respect pour ceux qui adorent certains de ses romans). Je suis toujours prise d’un ennui profond en le lisant, avec des chapitres contemplatifs et une vision partiale du monde. Comme vous le dites, c’est propre à son temps et pas au nôtre.
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