Entrer à l’Académie, méthode

1.

Abandonnez toute ambition esthétique, philosophique ou politique.

            Cette maxime résume tout ce qui va suivre et doit être votre horizon de futur académicien. Toute trace de style ou d’idée est résolument à bannir : le style comme l’idée sentent en effet le soufre, la nouveauté, voire le gauchisme. Votre seule ambition doit être de devenir académicien ; toute valeur autre que vous ressentirez ou cherchez à professer ne peut être qu’un obstacle dans votre carrière.

2.

Vénérez l’orthographe, rien que l’orthographe.

            L’essentiel est tout d’abord la correction orthographique. Vous irez régulièrement sur les tests grammaticaux et orthographiques du Figaro, éplucherez le Grévisse ou, sans le dire à personne, les pages web du Projet Voltaire, avec une ardeur inlassable. Vous vous relirez sans cesse avant de publier la moindre phrase. Jamais on ne vous reprochera une phrase sans contenu intellectuelle ou d’une insondable bêtise ; une phrase avec une faute d’orthographe, en revanche, sera un immortel furoncle.

3.

Atteignez la neutralité stylistique.

            Une fois le préalable orthographique atteint, vous vous entraînerez à écrire des phrases banales, mais dans un style clair et distinct. De nombreuses pages sur ce style académique sont disponibles en ligne, on en a même fait des ouvrages. L’important est d’atteindre une absolue transparence : rien ne doit transparaître, ni style ni idée. L’écoute des discours de députés macronistes ou la lecture de Michel Houellebecq vous aideront également à vous imprégner de ce vide rempli.

4.

Prétendez vénérer le style.

            Cette neutralité acquise, il vous faudra paradoxalement afficher une vénération pour le style. Quand la conversation arrive à la littérature, ou aux modes de vie, utilisez le mot « style » dès que possible. Il ne signifiera rien ni pour vous ni pour votre interlocuteur, mais montrera que vous appartenez à ce groupe qui apprécie les belles choses, l’absence de pensée et, bien sûr, cherche à entrer à l’Académie.

5.

Réclamez-vous du « bon sens ».

            Il arrivera des moments où il faudra parler de politique, dans les conversations mondaines. Vous ne devez certes n’avoir aucune ambition ni idée en la matière, mais, pour éviter d’afficher une ignorance gênante, vous vous réclamerez du « bon sens ». A l’occasion, vous critiquerez l’absence de bon sens de certains partis, mais sans les citer directement. « Je trouve que sur la question de [l’écologie / la sécurité / les inégalités  / etc.], les discussions manquent de bon sens. » Tout le monde comprendra que vous êtes pour l’ordre établi et l’absence de changement, c’est-à-dire pour l’Académie.

6.

Connaissez des classiques.

            L’important n’est pas l’érudition ; l’Académie n’a que faire des érudits. Ce qui compte, c’est de pouvoir citer des auteurs célèbres à telle ou telle occasion. Ce qu’on attend d’un académicien, ce n’est pas la connaissance, mais la citation. Alain Finkelkraut vous montre l’exemple en citant systématiquement une phrase de Marc Bloch absolument sortie de son contexte. (Patrick Boucheron, qui le lui a fait vertement remarqué, ne sera donc jamais académicien ; faire montre d’érudition, qui plus est devant un académicien, est un péché mortel.)

            L’idéal est d’avoir fait une classe préparatoire et d’en avoir conservé les textes proposés. Ils vous donneront une idée de l’horizon académique, du « canon » qu’on attend que vous sachiez citer. (Si vous n’avez pas fait ni  classes préparatoires, ni Sciences Po, vous êtes de toute façon perdu pour l’Académie.) En saupoudrant de citations glanées sur le net (les pages Facebook proposant des citations creuses de grands poètes et penseurs sont vos amies), le tour est joué.

7.

Entrez dans les mondanités.

            Vous l’aurez compris, l’essentiel pour entrer dans l’Académie n’est pas les livres que vous écrirez, qui doivent être les plus vides possibles. Quand votre état d’esprit est résolument celui du brassage de vide et de répétition des évidences, vous pouvez entrer dans le Paris mondain. Vous devez être un infatigable des soirées, cocktails culturels et clubs bourgeois.

8.

Soyez né riche.

            Navré pour ceux qui sont arrivés jusque-là et vont être déçus mais, si vous n’êtes pas né riche, vous êtes perdu pour l’Académie. L’académicien est radicalement rentier et oisif. Imagine-t-on un académicien ayant travaillé ? Ce serait une aberration. De même que le capital culturel de vos parents vous aura permis de réussir vos études en étant bête comme vos pieds, c’est avec l’argent de papa et maman que vous achèterez les accessoires nécessaires aux soirées mondaines.

9.

Ayez des accessoires neutres.

            Le but de vos vêtements, accessoires et objets doit uniquement être de montrer votre appartenance à la bourgeoisie, bref votre « style » et votre « bon sens ». Chemise blanche, costume noir, parfum Dior, montre Bulgari, le Figaro du jour et Le Point de la semaine dans votre cartable à main simili cuir.

10.

Lisez et approchez des académiciens.

            Le site de l’Académie rappelle que tout aspirant académicien est traditionnellement tenu de donner à dîner à tous les académiciens lorsqu’il propose sa candidature. Le travail préparatoire est néanmoins de longue haleine. Vous aurez notamment à lire les livres d’académiciens, vous rendre à leurs conférences et  leurs dédicaces. Cela aura aussi l’avantage de vous remettre en mémoire le vide que vous devez sans cesse adopter. François Cheng comme Jean-Marie Rouart en sont les maîtres les plus aboutis et seront vos mentors en la matière.

11.

Écrivez des articles dans Le Figaro et Le Point.

            Vous êtes désormais un membre du gratin. Vous avez un poste à l’université, ou dans une maison d’édition, ou dans la médiation culturelle. Vous proposez donc, via votre réseau en construction, des articles dans Le Figaro ou dans Le Point. Ce seront toujours des articles culturels. S’ils sont strictement littéraires, vous vous attacherez aux livres d’académiciens ou consacrés à d’anciens académiciens. Si vous choisissez les sujets de société, vous vous pencherez sur l’éducation ou sur « l’insécurité culturelle », et regretterez « la fin de la méritocratie » et de « l’exception culturelle française ». L’essentiel est que vous soyez pleinement dans les attentes de vos lecteurs ; reprendre des idées d’articles que vous aurez lus dans ces journaux, et que vous mélangez dans une nouvelle bouillie, est un procédé habituel de ces journaux, ils vous en sauront gré.

12.

Écrivez des livres lisses.

            Neutre, lisse, plein de bon sens : ainsi vous présentez-vous au monde, ainsi seront vos livres. Les biographies d’anciens politiciens français sont recommandées : elles vous placent dans la lignée de ceux qui aiment l’Histoire, leur pays et ont lu les livres du canon académique. Choisissez des figures comme Henri IV, Fouquet et Talleyrand. Pompez les biographies officielles, concentrez-vous sur les anecdotes savoureuses et ajoutez-y des réflexions sur l’essence du style politique française. Pour le style, gardez la neutralité complète, que rien ne dépasse, n’ait l’air intelligent ou recherché ; inspirez-vous par exemple, pour cela, du Napoléon de Jean-Marie Rouart.

13.

Continuez ainsi dans la sérénité.

            Il vous faudra sans doute écrire une bonne centaine d’articles et une bonne vingtaine de livres sur ce modèle-ci. Une routine s’installera peu à peu ; vous varierez biographies, romans et essais, toujours en rebattant les idées reçues, accessibles à n’importe quel étudiant de Sciences Po. Prenez exemple notamment sur Le Guide des égarés de Jean d’Ormesson ou Cinq méditations sur la beauté de François Cheng, chefs-d’œuvre de banalité, écrits avec la facilité routinière du génie académicien. Les années passent, on vous respecte dans les colonnes du Figaro et du Point, seuls titres qui doivent vous intéresser. Vous prenez du ventre dans les cocktails, goûtez des bons vins avec journalistes et académiciens. Vous vous sentez mûr pour la candidature.

14.

Faites une première approche en prétendant l’humilité.

            Vous ne présentez pas votre candidature de but en blanc, au risque de vous faire ridiculiser comme Frédéric Mitterrand en 2018. Vous en discutez avec un ou deux académiciens que vous connaissez désormais bien, à qui vous avez systématiquement envoyé tous vos livres. L’idée est d’en trouver un qui soutienne votre candidature, et convainque de lui-même les autres. Vous en choisissez un qui soit installé à l’Académie depuis longtemps, les derniers arrivés ayant moins de poids. Vous le choisissez pas trop proche de vos propres genres d’écriture : il ne faut pas que son soutien paraisse idéologique ou orienté.

15.

Vous voilà académicien.

            Plus personne ne voulant aller dans cet EPHAD pour conservateurs qu’est l’Académie, votre candidature, si elle est faite après s’être assuré quelques soutiens solides, est assurée. Dans votre discours de réception, vous devrez faire l’éloge de votre prédécesseur, que vous ferez le plus hypocrite possible, comme vous savez déjà le faire depuis des années. On vous donne la veste et l’épée. Vous êtes désormais un immortel, c’est-à-dire un illustre inconnu. Vous pouvez attendre tranquillement la mort, assuré qu’un individu en tout point semblable à vous fera votre éloge, tout aussi hypocrite et aussi divinement vide.  

2 réflexions sur “Entrer à l’Académie, méthode

  1. Excellente analyse (voire désopilante car si proche de la vérité camouflée) !

    Juste un point : dans votre chapitre 11, vous semblez oublier de mentionner « France Culture », où officie hebdomadairement le grand ordonnateur de la pensée « correcte » qui figure en photo plus haut. C’est le marche-pied indispensable pour cet « intellectuel » auto-proclamé, afin de pouvoir y dispenser la doxa réactionnaire, pro-israélienne à tout-va (même avec l’extrême droite se pavanant au pouvoir), anti-« gauchistes », anti-syndicats et anti-grèves… et au final pro-macronienne sans le dire ouvertement.

    Le bicorne, en fait, sied fort bien à certains. 🙂

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