Arguments contre la réforme des retraites

En 2010, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, je manifestais contre la réforme des retraites faisant passer l’âge minimum de départ de 60 ans à 62 ans. Cette manifestation avait lieu avec nombre de drapeaux du Parti Socialiste. Longtemps je me souviendrai de ce militant socialiste qui nous a affirmé clairement : « Si nous sommes élus en 2012, nous reviendrons sur cette réforme. » François Hollande a été élu. Dès 2012, son Premier ministre Jean-Marc Ayrault a annoncé que l’âge de 62 ans était entériné. En 2013, Marisol Touraine entérinait également l’augmentation du nombre de trimestres de cotisations. Cette trahison, qui est la raison principale du marasme de la gauche, a ouvert toutes les vannes du néo-capitalisme (terme que je préfère à « néo-libéralisme », qui introduit une composante culturelle et philosophique trop complexe) et une victoire massive des classes dominantes contre les classes populaires, entérinée elle aussi par la première puis la deuxième élection d’Emmanuel Macron. Aujourd’hui, ce président, par la voix de sa Première ministre Élisabeth Borne, propose le recul du départ de l’âge légal à 64, voire 65 ans. Comme la majeure partie des Français (les deux tiers, selon les sondages), je suis horrifié par cette mesure. J’essaie ici d’expliquer pourquoi.

1. C’est une terrible violence sociale. A 62 ans, 25 % des plus pauvres sont déjà morts. Contre 4 % des plus riches. Cela signifie qu’un report de l’âge de départ aura un impact d’une violence aiguë sur les personnes les plus pauvres. Le mardi 3 janvier, sur France Inter, il y a eu une sorte de moment de vérité lors du journal de 8 h : des ouvriers s’exprimaient sur cette réforme. Il le disait clairement : à 62 ans, beaucoup seraient déjà morts, ou en invalidité ; à 64 ans, il n’est même pas question de penser à une quelconque retraite. Pensez aux manutentionnaires, aux déménageurs, aux assistantes-maternelles. Même les professeurs le disent bien, alors même qu’ils ont une des plus grandes espérances de vie après la retraite parmi les actifs : à 62 ans, on n’y arrive plus. Qu’en sera-t-il donc pour les métiers pénibles et physiques ? La retraite à 64 ans, pour les ouvriers ou les employés dans des travaux pénibles, c’est la mort au travail. Une telle réforme des retraites est donc objectivement le meurtre de milliers de personnes.

2. Cela va dans le sens inverse des problèmes du XXIe siècle. Notre devenir historique est celui des crises écologiques. Ce sera l’enjeu principal du XXIe siècle, non pas parce que quelques militants l’ont décidé, mais parce que cela fait l’objet d’un consensus scientifique. L’augmentation des températures est une réalité mathématique ; le fait que la production de CO2 d’origine humaine soit la cause de cette augmentation de température est une réalité mathématique ; le fait qu’une trop grosse augmentation de température peut entraîner la ruine de toute civilisation est une réalité mathématique. Face à cela, les stratégies divergent : moins consommer, mieux consommer, changer les modes de production, etc. En vérité, on n’a plus beaucoup de temps, et la solution la plus nette est : moins consommer, tout simplement. Évidemment, on peut réduire les consommations inutiles (yachts, jets privés, surconsommation alimentaire, etc.), mais cela ne suffit pas : il faudra aussi moins produire. Moins produire signifie une réalité très simple : nous allons devoir moins travailler. Que ce soit clair : moins de consommation entraîne moins de production, ce qui entraîne moins de travail. « Travailler plus » est une idée folle, l’envers de toute rationalité. Nous devons au contraire faire l’effort de travailler moins. Ce qui –ce sera peut-être contre-intuitif pour certains lecteurs- n’est pas simple du tout. Cela entraîne des mutations de société immenses. Mais c’est notre tâche historique : gérer une baisse de la consommation, de la production et du travail. Il faut sortir du paradigme néo-capitaliste où chacun doit travailler plus ; briser ce paradigme doit être une des principales tâches des intellectuels.

3. Même d’un point de vue d’unique efficacité économique, le report de l’âge légal est un non-sens. Le conseil d’orientation des retraites affirme que les comptes sont à l’équilibre.Le gouvernement répond en disant qu’il y a un risque sur l’avenir des retraites avec le vieillissement de la population. Seulement, le gouvernement ne prend pas en compte les coûts financiers qu’entraîne une telle réforme.Tout d’abord, le 6 janvier 2023, sur France Info, le président de la Mutualité Française (Eric Chenut) rappelle que les accidents du travail ont lieu essentiellement chez les actifs âgés. Il estime qu’un recul du départ de l’âge légal à 64 ans entraînera un coût de 10 milliards d’euros en prévoyance. Ensuite, cette réforme va nécessairement entraîner une hausse du chômage, puisque des actifs resteront sur le marché du travail. Ce qui ne sera pas payé en retraite sera payé en chômage : on déshabille Paul (ou plutôt, on le fait mourir au travail) pour habiller (mal) Jacques. Enfin, il n’est pas la peine d’être Tirésias pour savoir qu’à partir de 60 ans, le travail est plus pénible, on le fait avec moins de vigueur et d’efficacité, on est plus souvent malade, et c’est d’ailleurs pour ces raisons que l’emploi des séniors est bas. Les ouvriers interrogés par France Inter le 3 janvier le disaient clairement : une retraite à 64 ans, pour eux, ce sera les dernières années en congés maladies, parce que de fait on ne peut plus réaliser physiquement leurs travaux au-dessus de 60 ans. Les gains de la réforme seront donc reportés sur la Sécurité sociale. Ainsi, une réforme des retraites entraînera : 1° Des dépenses de prévoyance énormes. 2° Une augmentation des dépenses de chômage. 3° Une augmentation des dépenses de la Sécurité sociale. Finalement, on peut être presque certains qu’elle entraînera plus de coûts que de gains.

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