Rêverie de début mai

Je le disais avant-hier, organiser le divers du réel m’est une plaie, parce que je voudrais à la fois tout dire et donner, tout de même, un semblant de forme à ce divers. Les formes fixes (tanka, sonnet, etc.) permettent de faire jaillir un moment saillant (de beauté, d’horreur, de pensée, d’absence…) dans une impression de plénitude, mais j’ai toujours plutôt été fasciné par ce qui déborde, ce qui cherche à montrer que le réel est inépuisable : des structures comme celles de Paterson (William Carlos Williams) ou des Cantos (Ezra Pound), qui pourraient s’étirer à l’infini, forment des œuvres nécessairement interminées et interminables, ou encore les longues phrases de László Krasznahorkai, dont j’ai déjà longuement parlé ici, qui laissent l’impression que les mots ne parviennent pas à épuiser non seulement « le réel », mais simplement le moindre moment, le moindre objet, la moindre pensée, qui toutes et tous pourraient donner lieu à un livre entier et interminable. Sans doute est-ce pour cela que ma « zone de confort », en matière d’écriture, est dans la rêverie, ce genre bâtard constituant en vérité l’essentiel de ce que j’écris ici, que ce soit sous le titre « rêverie », « pause », « roue libre » ou autre. C’est facile, la phrase part toute seule. Si je m’observais de l’extérieur, je dirais que c’est un genre propre aux gens bavards, sans réelle portée. On se rassurera en se disant que c’est peut-être agréable à lire ; d’ailleurs, sur des réseaux comme celui-ci, je lis des posts de blogs qui pour l’essentiel sont eux aussi des rêveries, et qui me détendent, tout en me donnant matière à penser.


En commençant à écrire ce texte, j’avais pourtant plutôt envie de refaire un intermède politique, parler aussi bien du travail syndical au sein de l’Éducation nationale, que d’un premier mai agréable dans ma ville moyenne, avec soixante personnes de syndicats et de partis différents, réunis pour discuter et défendre leurs droits. Un point néanmoins, en écoutant les conversations : un ras-le-bol général, chez tous ces gens de gauche, vis-à-vis de la stratégie actuelle de La France insoumise. Peut-être y suis-je sensible parce que je suis moi-même mal à l’aise vis-à-vis de cette stratégie. Avec, en contrepoint, la même réflexion qui revenait ensuite : mais alors, qu’est-ce qu’il nous reste ? On ne va quand même pas voter Glucksmann ? Paroles suivies de silences peinés. Je ne suis plus du tout certain (en vérité, je ne le fus jamais, mais peut-être les nécessités de la prose politique ont-elles donné l’impression que si) que mes idées sur l’actualité politique soient justes. Pourtant, écrivant cela, je vois bien la violence économique, le cynisme vis-à-vis de la situation écologique, que je récuse et contre laquelle je sens la nécessité d’un engagement résolu. Éternels et ridicules atermoiements. Pendant ce temps, on continue de bosser pour faire avancer telle idée ou tel droit, mais surtout, on s’épuise en tirs de défense face aux attaques permanentes.


Simultanément, je souhaitais parler de mon attrait pour le genre de la nature morte. Cela fait longtemps que j’apprécie ce type de peintures, mais j’en ai vu plusieurs très dignes d’intérêt, que je ne connaissais pas jusque-là, lors de mon passage en Alsace. J’en mentionnerai une seule, sous forme d’envoi, l’une de celle de Robert Delaunay.


Évidemment, on est surpris d’abord par la forge coloration, alors qu’on a l’habitude de natures mortes sur fond noir, évocateur de la mort. Anaïs me fit cependant remarquer, devant le tableau, que la plus grande surprise gisait en fait dans l’angle de vue : les natures mortes vues de haut sont aussi rares, si ce n’est plus, que celles aux couleurs si vives. Double surprise, donc. De quoi continuer les rêveries.

3 réflexions sur “Rêverie de début mai

    1. Eh oui ; j’ai dû garder le titre que le peintre a choisi, puisqu’il a lui-même intitulé cette œuvre « nature morte », mais il cultive bien ici le goût de l’inversion, faisant revenir la couleur là où était la mélancolie.

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